Théorem est un univers fantastique contemporain développé autour d’un jeu de rôle, entièrement téléchargeable, et d’un roman, publié au rythme d’un chapitre toutes les deux semaines.

Présentation : Diamant est l’éboueur occulte du monde. C’est un magicien qui possède la faculté, lorsqu’il est sur le point de mourir, de voler le corps d’une personne également mourante pour se substituer à elle, un procédé qui lui permet de vivre depuis plusieurs siècles déjà. Après en avoir longtemps profité de façon purement égoïste, il s’emploie aujourd’hui à essayer d’aider son prochain, une tache d’autant plus difficile que son passé est un mystère hanté d’ombres prêtes à lui sauter à la gorge à tout moment.

Honnêtement, je savais dès les premières minutes que cette histoire finirait mal. Après des siècles de galère en tout genre, on développe tout naturellement une sorte de détecteur à emmerdes et ce matin-là, tous les signes étaient présents. Les événements s’enchaînaient de la pire des manières possibles pour me pourrir l’existence. Nous étions en pleine période de noël, certainement celle de l’année que j’exècre le plus. D’une part, parce que c’est une fête familiale et qu’il n’y a rien de pire pour un immortel qu’une occasion de lui rappeler qu’il est seul comme un chien, et d’autre part parce qu’au moment de ma naissance, on n’avait même pas encore eu ne serait-ce que l’idée de celle du Christ, alors le vieux barbu en rouge, vous pensez bien si on s’en cognait.
Depuis plusieurs siècles déjà, j’associais donc cette période à ce qu’il y avait de pire au monde, et elle me le rendait bien. Ce matin-là notamment, les catastrophes avait commencé dés mon réveil, lorsque j’avais marché sur un cendrier en verre oublié la veille à côté du canapé, avant de me broyer le genou contre la table basse en voulant dégager mon pied des éclats. Je ne savais ce qui était le plus douloureux des entailles ou du choc, mais j’aurais dû comprendre dés ce moment qu’il s’agissait d’une sorte d’avertissement cosmique m’invectivant d’allumer un pétard et d’aller me recoucher. Malheureusement, les siècles ont beau s’accumuler, on ne change pas un caractére comme le mien, et j’étais bien résolu à ne pas me laisser battre par une table basse, fut-elle aidé d’un cendrier. C’est ainsi que je me retrouvais dans le métro couvert du vomi d’un clodo qui m’insultait sans raison, me hurlant dessus que j’étais la putain de Babylone, le diable fait femme venue dévorer le monde et qu’il fallait m’empêcher de nuire à tout prix. Il s’y serait volontiers employé d’ailleurs, si d’autres voyageurs n’étaient intervenu pour me porter secours. Le message était une fois de plus parfaitement limpide: « RETOURNE DORMIR !!! », il aurait fallu qu’il soit inscrit en lettres de feu dans le ciel pour être plus clair et pourtant, j’insistais toujours. J’avais donc dû jeter mes affaires (notamment un superbe blouson en cuir « Anarchy in the UK » qui m’avait coûté un bras mais me rappelait une grande période de ma vie) empestant désormais la vinasse pour en acheter de nouvelles. J’avais inspecté rapidement les magasins alentour avant de me rendre à l’évidence, si je ne voulais pas me promener en maillot de bain, j’étais condamné à investir dans un superbe pull rouge à pompon blanc et imprimé cerfs, seul vêtement du coin à ma taille. L’univers me harcelait et ce n’étais qu’un début. C’est ainsi que je me retrouvais dans une cage, baignant dans mon propre sang, fouetté à coup de chat crevé par une vieille clodo hystérique. Mais je saute des étapes et je vous perds un peu. Reprenons du début !

Cela faisait maintenant quelques semaines que j’avais découvert le puit des Passeurs dans les catacombes. Ne pouvant le déplacer, je l’avais protégé magiquement par un sort d’illusion. L’accès était suffisamment compliqué pour que peu de gens puissent le trouver par accident et mon sort le rendait désormais quasi inaccessible même pour ceux connaissant son emplacement. Rassuré, j’étais naturellement passé à autre chose et pourtant, cette affaire n’avait eu de cesse de me hanter. À ma connaissance, un objet aussi puissant ne s’éveille pas seul et surtout n’influence pas aussi grossièrement ses victimes. Pourquoi m’aurait-il menacé d’une fin du monde si ce n’était pas effectivement le cas ? Cela faisait un moment que l’impression troublante qu’un événement catastrophique approchait me tenaillait, et cette histoire de puit m’apparaissait comme une confirmation. Quelque chose de terrible se préparait et je devais en apprendre plus si je voulais l’empêcher. Il fallait que j’en parle à quelqu’un et j’étais presque certains de savoir qui pourrait me renseigner. Je l’avais rencontré durant l’exposition universelle de Paris de 1889 et nous y avions affronté un singe volant tueur (pas de commentaire, c’était une autre époque). Depuis, nous nous recroisions à l’occasion de nos aventures respectives. Il s’appelait Noël et prétendait être le vrai père noël. C’était un vagabond et d’aussi loin que je le connaissais, il avait toujours vécu dans la rue. Un jour que nous avions passablement bu, je lui avais demandé ce qu’il foutait à Paris s’il était le père noël. Il m’avait répondu le plus naturellement du monde, mais non sans ironie : « t’as déjà essayé de faire la manche au Pole nord ? », c’était une défense imparable, surtout avec deux gramme huit dans chaque paupière. Il m’avait ensuite expliqué le complot mis en place par les marchands de sodas et de jouets pour se débarrasser de lui. Du jour au lendemain, il s’était retrouvé à n’être plus qu’un mythe, une jolie fable pour enfants. La majeure partie des gens le considérait comme un dingue mais j’aimais bien son histoire et pour ma part, je préférais le croire. Si je voulais voir Noël, c’est qu’il avait une connaissance approfondie de Paris et de ses arcannes et si quelqu’un était à même de me renseigner sur les Passeurs et leur foutu puit, c’était assurément lui. Je fis donc la tournée des coins où je lui connaissais des habitudes, interrogeant plusieurs autres sans domicile qui avaient l’habitude de le fréquenter mais la réponse semblait toujours la même : Noël avait disparu depuis plusieurs jours. Je remarquais d’autres part une atmosphère étrange, une menace latente, une sensation de danger omniprésente que je n’avais jamais constatée aussi violement dans ce milieu. Me vint l’idée saugrenue que je n’aurais probablement pas de réponses à mes questions et qu’il était peut-être temps d’aller voir la police. Si j’évitais en général de travailler avec eux, je gardais toutefois toujours quelques contacts pour ne me fermer aucune porte en cas de besoin. Je savais bien qu’ils n’étaient pas du genre à enquêter sur des disparitions de clochards mais c’était le moyen le plus rapide de m’assurer que Noël était encore en vie. Ce n’était pas le genre d’homme à passer accidentellement sous un bus, mais avec le temps, quelqu’un aurait pu estimer qu’il commençait à en savoir trop. Une visite rapide du commissariat le plus proche, beaucoup plus rapide que je l’aurais pensé, ne m’appris pas grand-chose sur mon ancien compagnon mais beaucoup sur moi. La première chose qui frappa mon regard en arrivant dans le bâtiment fut une affiche annonçant que Josette Chaumont, seize ans, était en fugue et que ses parents la recherchaient activement. Je reconnus immédiatement la jolie gothique dont j’utilisais le corps et ne pris pas la peine d’aller plus loin. Tournant les talons le plus naturellement possibles avant que quelqu’un ne voit mon visage, j’allais me réfugier dans la ruelle sombre la plus proche à vive allure pour reprendre mon calme. Mon hôte avait effectivement une bonne raison de se suicider, s’appeler Josette pour une ado c’était la promesse d’au moins cinquante ans de moquerie à venir, sans parler de celles qu’elle avait déjà dû endurer. Ces considérations mises à part, la situation craignait vraiment. S’il y avait bien une chose que je détestais lors de mes changements de corps, c’était de prendre possession d’un mineur. Non pas que j’ai un quelconque code moral sur ce point, c’est juste que cela compliquait inévitablement ma vie. La famille était toujours plus désireuse du retour de leur enfant et surtout, elle avait le secours de la police. J’étais bon pour faire profil bas pendant les deux ans à venir, ça promettait d’être de très longues années. Je n’avais toujours pas la moindre idée d’où pouvait se trouver Noël et pas même de s’il était vivant. Je me décidais donc à poursuivre mon enquête en interrogeant les urgentistes du SAMU Social, les volontaires de la Croix-Rouge et des autres associations pour essayer d’en apprendre plus. Je connaissais un peu le milieu de la l’extrême précarité pour l’avoir moi-même expérimenté par le passé, dans des périodes un peu sombre de ma vie. Mon regard était donc loin d’être vierge, je savais comment tout cela fonctionnait. Pour survivre, il fallait être dur ou fou et souvent un peu des deux. Malgré tout, dans mon souvenir, il restait encore beaucoup d’humanité chez les plus démunis. C’est souvent lorsqu’on perd tout qu’on apprend la vraie valeur des choses. Pourtant, je fit un constat que j’étais loin d’imaginer. Au cours de la journée, en interrogeant des pauvres des quatre coins de Paris, je manquai de me faire violer trois fois, assommer à coup de bouteille deux fois et mordre une fois. La rue semblait devenir folle et c’est également le triste état des lieux que faisaient les urgentistes. Malgré l’arrivé encore récemment d’une nouvelle association très efficace, la situation semblait plus que jamais hors de tout contrôle et les bénévoles se sentaient démunis. Cela se ressentait d’ailleurs dans l’opinion publique qui, là où il se révoltait jadis devant les petites phrases politiques jetant l’opprobre sur les plus nécessiteux d’entre nous, n’offrait désormais plus qu’un silence gêné lourd de sous-entendu. Il me sembla même que les temps n’étaient plus très loin où le peuple demanderait de lui-même aux politiques de « régler définitivement le problème » des sans-domicile. Malheureusement, j’étais impuissant face à ce triste constat, le social n’ayant jamais été mon domaine de prédilection et la magie ne pouvant tout résoudre. Mon investigation porta toutefois ses fruits, j’appris par un bénévole que Noël avait souvent été vu en compagnie d’une nouvelle venue dans la rue et qu’il l’avait, semblait-il, prise sous son aile. Puisque l’enquête sur Noël ne menait pas à grand chose, je me décidais à me réorienter sur cette mystérieuse sdf. J’appris ainsi qu’elle s’appelait Simone, qu’elle était mère-célibataire à la rue depuis deux mois et qu’elle avait perdu la garde de ses enfants très récemment. Aux dernières nouvelles, elle avait réussi à sortir de la rue grâce à Soutien Vital, une nouvelle association offrant soutien moral et physique et aidant à la réinsertion. L’association semblait avoir beaucoup d’influence, notamment au niveau de la police et avait, selon les bénévoles de la Croix Rouges avec qui j’en discutais, réussi à sortir de nombreuses personnes de la rue. C’était au moins une bonne nouvelle et surtout une piste sérieuse. Simone était la dernière personne à avoir vu Noël, elle pourrait sûrement me renseigner et Soutien Vital devait savoir où la trouver. Je me posais donc dans un bar proche d’une de leur zone de passage pour attendre l’arrivé d’un de leur van. Je ne tardais pas à être exaucé, après deux bières à peine se pointait une camionnette blanche arborant leur logo. Je finis ma mousse d’un trait, ce qui sembla surprendre quelques habitués (heureusement que j’avais gardé ma fausse carte d’identité) et me précipita dehors. Tandis que je m’approchais du van, deux bénévoles remettaient des plateaux-repas à un groupe de clochards assis sur un banc. Je remarquais qu’ils étaient bien approvisionnés, le van était rempli de cartons de nourriture Tieddoof et de médicaments Lynfatek. Voyant que je tournais autour d’eux l’un des volontaire, une jolie petite blonde au sourire charmant, m’interpella :
- Bonsoir ma petite, tu as besoin de quelque chose ? me fit-elle en se penchant vers moi pleine de commisération.
Si ma nouvelle apparence m’avait fait perdre beaucoup en crédibilité, c’était également le cas de mon nouveau pull. Difficile d’être pris au sérieux dans ces conditions, je devais donc m’adapter et revoir entièrement mon approche.
- B.. bonsoir, répondis-je de ma voix la plus fébrile et tremblotante
- Je peux t’aider ma petite ? Tu veux manger quelque chose ?
- Je…je cherche ma maman…
- Tu l’as perdu ? demanda la volontaire avec une mine attristée des plus craquantes
- Elle s’appelle Simone, on m’a dit que vous lui aviez trouvé un logement…
- Simone comment ? intervint brutalement un des autres volontaire, un grand brun à l’air niais qui avait écouté toute la discussion dans l’espoir évident de se taper la blonde en démontrant son efficacité.
Mon envie de le taper était presque aussi forte que celle de me faire du mal. Je n’avais même pas pensé à demander le nom de famille de cette Simone et j’avais plutôt intérêt à réagir vite si je ne voulais pas perdre tout le crédit de mon improvisation. J’éclata en sanglot. La blonde me consola immédiatement, renvoyant son collègue dans les cordes. Un point pour moi. Entre deux gémissements simulés, je hoquetais un discours mélodramatique sur l’absence maternelle tout en plongeant avidement ma tête dans sa poitrine qu’elle avait fort accueillante. Elle m’avoua finalement qu’ils n’avaient pas le droit de révéler ce genre d’information mais me donna les coordonnées de leur siége social que je puisse essayer de leur demander directement. Elle me proposa un plateau-repas pour me remettre de mes émotions, le temps qu’elle aille le chercher j’avais disparu. Je regrettais un peu de fuir ainsi, elle était vraiment jolie et je lui aurais volontiers fais visiter les jardins de Sapho, mais cela aurait été trop compliqué vu la situation et je commençais à m’inquiéter de celle de Noël. Je me rendis donc sans tarder au siége social de Soutien Vital un bâtiment Haussmannien assez typique de Paris et plutôt mal entretenue. Il y régnait encore un peu d’animation, mais cela ne durerait à l’évidence plus longtemps. J’étudiais les possibilités d’entrer qui m’étaient offertes, elle se limitait, en gros, à la porte principale. Il était temps de mettre un peu de magie dans cette affaire.
Les plus taquins d’entre-vous protesteront peut-être d’ailleurs que pour un magicien immortel, j’y vais plutôt chichement sur la magie. Je leur répondrais tout d’abords que je les emmerde (parce que bon, ça va cinq minutes les remarques désobligeantes) puis que la magie est un art dont on ne doit pas abuser. Elle a un prix, des procédures, bref en user à tort et à travers c’est prendre un risque certains de se réveiller un matin avec la tête à la place du cul ou que sais-je encore. Ma tête étant très bien où elle se trouve, j’ai choisi depuis plusieurs siècles déjà de ne pas gaspiller mon art et de n’user de mes pouvoirs qu’en dernier recours. Genre maintenant. Je me dirigeai donc très naturellement vers l’accueil de l’association et montai dans les étages. À l’exception d’une fille à la réception, je ne croisais que deux autres femme dans l’escalier en train de papoter de Colin firth (qu’on m’explique d’où lui vient ce succès féminin) aucune ne me remarqua, j’étais complètement invisible à leurs yeux. Pratique n’est-il pas, je peux devenir invisible (et d’autres choses) à volonté. A quelques nuances près: ça n’affecte ni les animaux, ni les appareils électroniques et surtout pas les systèmes de détection magique puisqu’au contraire utiliser ce pouvoir brûle une grande partie de mon énergie psychique laissant derrière moi un résidu des plus identifiables. Je poursuivis mon inspection jusqu'à un bureau ouvert au fond du premier étage. Je m’y cacha en écoutant les deux commères descendre. Peu de temps après, les lumières s’éteignirent dans l’entrée et j’entendis la porte claquer. Il n’y avait plus d’autres bruits dans le bâtiment que le glouglou du distributeur d’eau. J’étais enfin seul, mon investigation pouvait commencer. Je retournais tiroirs, armoires et jusqu’au moindre dossier à la recherche d’informations sur Simone ou Noël, mais me retrouva complètement bredouille. En fait, l’association ne semblait conserver aucune trace des sans-domicile dont-ils se seraient occupé. Il restait la possibilité que tout soit conservé sur informatique mais l’affaire me paraissait de plus en plus douteuse. J’alluma un ordinateur dont le mot de passe était postité sur l’écran, mais piétina bien vite. L’informatique n’avait jamais été ma tasse de thé, c’est d’ailleurs pour ça que j’avais Edwin. Il était presque 21h, j’hésita à l’appeler, je n’avais pas de nouvelles depuis que j’avais libéré sa sœur. Elle était probablement toujours en désintoxication, le bug est une vraie belle saloperie. Je décrocha le téléphone, je n’avais pas trop le choix, j’étais à court de piste.
À l’autre bout du combiné, j’entendis un « allo » fatigué et sceptique.
- Edwin, c’est Diamant, j’aurais besoin que tu me pirates un ordinateur
- Bonsoir, d’abords reprit-il sur un ton réprobateur
- C’est vrai, je perds mon éducation à force de passer mon temps à sauver les miches des sœurs de mes amis fis-je en commençant à jouer avec un crayon que j’avais trouvé sur le bureau.
- Ça va, c’est bon, j’ai compris, c’est quoi l’histoire.
- J'enquête sur une association répondis-je en posant mes pieds sur le bureau, je cherche des infos et je ne trouve rien dans leurs ordinateurs. Tu pourrais regarder ?
- Ça dépend faudrait que j’y aie accès.
- Bah j’y suis là.
- D’où est-ce que tu m’appelles interrogea Edwin d’un air inquiet après avoir laissé planer une longue pause.
- Bah de l’association.
- Tu veux dire que tu es dans les locaux de l’association que tu veux que je hacke et tu m’appelles sur mon fixe avec un de leur téléphone.
- Bah oui, ça pause problème ? répondis-je naïvement en faisant tournoyer le crayon entre mes doigts.
- Je prendrais même pas la peine de répondre tellement c’est crétin comme question.
- Bon tu peux le faire ou pas ?
- T’as accès à Internet ?
- Oui, ils ont Internet Navigator 8. Fis-je en me redressant pour me mettre dans une position plus propre à taper sur le clavier.
- Parfait, tu vas aller sur W.W.W.B.I.G.T.I.T.S.X.X.X...C.O.M
- C’est bon, fis-je en voyant s’afficher une page d’un goût douteux rempli de photos de poitrines plus difformes les unes que les autres, et maintenant ?
- Et maintenant, l’ordinateur doit te demander de valider quelque chose, tu réponds oui et je gère.
- Ça prendra longtemps ?
- Ça dépend de la complexité de leur réseau et de ce que je cherche.
- Tu cherches surtout des infos sur une Simone, ou un Noël, mais également sur le relogement ou sur tout ce qui pourrait te sembler louche.
- Bon, je te tiens au courant d’ici demain. D’ici là tu seras gentil d’effacer tes traces dans les locaux.
- Je suis pas complètement débutant, m’énervais-je un peu face à tant de paternalisme en jetant le crayon au plafond pour essayer de l’y planter.
- Personne t’as vu rassure-moi ?
- Bon, ça va OUI !!!! m’emportais-je en tapant du poing sur le clavier.
- Et y a pas de caméra ?
Je manquai de tomber de ma chaise à cette dernière question, le crayon me retomba mollement sur le crâne. Je n’avais pas pensé à vérifier les caméras. C’est une habitude que je n‘arrivais pas à prendre, cette pratique était tellement récente par rapport à mon expérience de voleur que j’oubliais presque systématiquement.
- Roh mais tu me prends pour qui ripostais-je drappé de mauvaise foi.
- Laisse tomber, je te rappelle demain.
- Hé ? lui fis-je avant qu’il raccroche.
- Quoi ?
- Elle va bien ?
- Ça s’arrange, l’envie commence à passer, mais la déprime reste forte. Je garde espoir, ça va s’arranger.
- Y a intérêt, ce serait du gâchis sinon.
- T’approches pas de ma sœur, dangereux pervers.
- Ho, ça va, je l’ai pas vraiment sauté la dernière fois
- De quoi ?
- Houla, je te laisse, j’entends du bruit….
En raccrochant, des souvenirs me revinrent de cette nuit passé avec Sonatine. Il savait y faire, je me demanda ce qu’il pouvait devenir, j’étais étonné de ne pas avoir eu de ses nouvelles. Je n’aurais jamais pu résister aussi longtemps à l’appel du coffre de soumission. Même si ça me causerait sûrement des ennuis, j’espérais le revoir bientôt. Après avoir couvert mes traces et m'être assuré qu’aucune caméra ne me filmait je rentrai finalement chez moi. C’était l’heure des rediffusions de ma realTV préférée : le château, je m’abrutis donc devant la télévision en réfléchissant aux derniers événements. C’est le téléphone qui me tira du sommeil. J’avais la tête posée sur une part de pizza quatre fromage, je la décolla avant de décrocher. Edwin venait de finir ses recherches, il n’avait trouvé aucune information sur ce que je cherchais mais avait tout de même trouvé quelque chose d’intéressant. L’association était propriétaire d’un gigantesque entrepôt dont-il n’était fais mention nulle part à l’exception de quelques mails privés. Je décidais de m’y rendre sans tarder (après toutefois une bonne douche pour me débarrasser de l’odeur de gorgonzola sur ma joue).
L’entrepôt était aussi grand que l’avait décrit Edwin, il était perdu au fin fond d’une zone industrielle à moitié abandonnée et semblait lui-même inutilisé de longues dates. Ça avait tout du lieu idéal pour commettre des méfaits de tout ordre, il fallait que j’en découvre plus. Je tourna autour un moment pour trouver le moyen d’y pénétrer discrètement et remarqua finalement une fenêtre brisée en hauteur. Les poubelles du coin me permettraient de prendre de la hauteur, j’improvisa donc un escabeau avant d’essayer de me faufiler à l’intérieur. J’avais presque réussi lorsque l’équilibre précaire de mon installation me trahit me faisant tomber dans un boucan de tous les diables. Lorsque je repris conscience, je me trouvais à l’intérieur du bâtiment, je me réjouis donc de cette réussite, faisant abstraction du fait que j’étais derrière des barreaux. Une vingtaine de cellules individuelles jouxtaient la mienne, toutes retenant des hommes et des femmes en piteux états tant physique que mental. À l’odeur comme au choix vestimentaire, je devinais qu’il devait s’agir des fameux sans domicile réinséré par Soutien Vital. Je ne fus pas surpris non plus de reconnaître Noël dans une des cages proches de la mienne.
- Noël, l’interpelais-je en m’accrochant aux barreaux de ma prison.
- On se connaît gamine ? grogna-t-il en levant un sourcil l’air sceptique.
- C’est moi Diamant, je suis venu t’aider.
- La dernière fois que je t’ai vu t’étais un grand noir de deux mètre de haut, fit-il en me détaillant de la tête au pied, le prend pas mal mais tu nous aurais été plus utile comme ça, soit dit en passant.
- Tu sais ce qu’il se passe, repris-je en faisant mine d’ignorer sa dernière remarque.
- C’est Soutien Vital. Une association qui cache un trafic d’esclave. Ils utilisent des sans domiciles qu’ils enlèvent pour organiser des combats à mort et des paris.
Un grand coup de matraque frappa les barreaux de la prison de Noël, un vigile venait d’arriver et nous fixa d’un air mauvais presque pire que celui du pit-bull qu’il retenait avec difficultés.
- Vos gueules les clodos ou je vous claque.
Je ne répondis pas, je connaissais ce genre de zigues, ce serait me desservir que de résister, en tout cas tant que je n’aurais pas de plan. Il devait y avoir une dizaine de gardes dans son genre dans le bâtiment, ce n’était pas énorme, mais représentait déjà un challenge certain pour deux hommes sans armes. Une fois que le cerbére eut repris sa ronde, je poursuivis plus discrètement ma discussion avec Noël entrecoupé des hurlements de démence des autres pensionnaires.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Une femme comme toujours…soupira-t-il en s’adossant aux barreaux de sa cage.
- C’est-à-dire ?
- Et bien, j’ai rencontré une femme, Simone, elle venait d’être mises à la rue et on lui avait retiré la garde de ses enfants. Elle était belle, intelligente, j’ai voulu l’aider. Au début, ça se passait bien entre nous, je lui apprenais à vivre dans la rue et elle m’offrait un peu de compagnie. Elle a rencontré des gens de Soutien Vital qui lui apportaient souvent à manger et qui ont proposé de lui trouver un logement pour qu’elle puisse plus facilement récupérer ses enfants. Ça l’a rendue folle de joie tu penses bien, mais moi j’étais plus sceptique. Et puis avec le temps, elle a commencé à devenir bizarre, elle parlait toute seule, elle était plus agressive et insultait les passants. J’ai voulu l’aider, mais un matin, elle avait disparu. Je me suis tout de suite tourné vers Soutien Vital, leurs réponses étaient bizarres, embrouillées. J’ai continué à enquêter sur eux, et voilà.
- Et Simone ?
- Là-bas fit-il en désignant une femme en haillons au visage encroûté de sang occupé à caresser un chat mort.
Il continua ainsi à m’expliquer le fonctionnement de l’endroit une bonne partie de l’après-midi. Cela faisait une petite semaine qu’il était là, il avait déjà dû tuer quelqu’un et s’en remettait difficilement. Le soir arriva avant qu’on s’en rende compte et l'entrepôt changea de visage. Silencieux la journée, il vibra bientôt de rythmes sourds et puissants. Ses murs nus et délabrés se parèrent de jeux de lumière plus tape à l’œil que le pire casino de Vegas et la foule s’amassa progressivement dans l’entrée. C’était une faune plutôt inattendue pour le coin, costumes de luxe et robes de soirée haute couture se mélangeaient avec fourrures et diamant. L’on se serait cru au bal de d’une princesse quelconque si l’on exceptait l’odeur sous-jacente de crasse et d’urine qu’avait bien du mal à dissimuler les diffuseurs d’odeur fruits de la passion qui venaient de s’enclencher.
Noël me confirma ce que j’avais deviné, nous étions soir de match. Le vigile de tout à l’heure vint me chercher. Il désactiva ma cage avec une carte magnétique et s’avança vers moi en dressant sa matraque électrique.
- T’as d’la chance gamine, ce soir tu deviens célèbre.
Je me jetais à ses pieds pour le supplier de me relâcher, lui promettant monts et merveilles allant jusqu'à passer ma main sur sa braguette. Mais il resta inflexible et me traîna sur le ring sans ménagement après m’avoir collé un bon coup de ranger dans le ventre pour me calmer. En chemin, les spectateurs me détaillèrent comme un animal y allant chacun de leurs petits commentaires mesquins et s’échangeant de grandes quantités d’argents. Ma cote n’avait pas l’air bien élevé. Arrivé à côté du ring, un garde m’en ouvrit la cage tandis que son collègue m’y jeta. À l’intérieur se trouvait déjà Simone, caressant son chat dans une attitude étrangement posée. La foule hurla d’excitation tandis que raisonna le gong, je voulu discuter avec mon adversaire pour la raisonner, nous pouvions peut-être nous entendre et éviter le pire, mais cela semblait vain, elle fonça sur moi comme un taureau dans l’arène en faisant tournoyer son chat par la queue. J’esquiva sans mal le premier coup tant il était évident, mais la suite fut moins aisée. Simone n’avait aucune technique de combat, elle était juste déchaînée, comme un animal aux abois, et son arme rudimentaire s’avérait plus efficace qu’on ne l’aurait crue. Le premier coup à la tête m’assomma suffisamment pour que je pose le genou à terre. Une opportunité suffisante pour que mon adversaire puisse me rouer de coup jusqu'à m’en faire cracher du sang. Un coup de coude bien placé suivit d’un uppercut me permit de me dégager du corps à corps, mais c’était un répit bien maigre comparé à l’état dans lequel je me trouvais. Elle bondit sur moi, m’acculant contre la grille et frappa, griffa, mordit. Ma vue se brouilla, je voulus essayer de me dégager, mais les forces me manquaient. Ce corps était trop jeune pour endurer pareille situation et j’avais bien peur de voir ma dernière heure arriver. Vous vous dites probablement que ce n’est pas bien grave puisque je n’aurais qu’à changer de corps, d‘autant que celui-ci me posait pas mal de soucis, mais il se peut que je n’ai pas été totalement sincère avec vous. La vérité, c’est que si je n’ai rien remarqué durant les premiers siècles, je me suis aperçu pendant les derniers que ce procédé n’était pas sans effet sur moi. Chacun de ces transferts altère mon aura, la taillant doucement mais sûrement. Cela m’a semblé une bonne chose au début, car tout comme un diamant brut dans les mains d’un orfèvre, mon aura devenait plus pure et plus efficace. Mais que se passerait-il lorsque mon aura recevrait le petit coup de trop ? Que deviendrais-je ? C’était la question qui me hantait depuis plus de décennies que je n’en saurais compter et qui me faisait redouter (plus que la douleur) une nouvelle mort. Je cracha une nouvelle gerbe de sang en m’effondrant au sol, ce n’était vraiment pas le plan. Ma vue se brouilla, mes forces m’abandonnaient, je crus entendre le gong et les hués de la foule. Mon corps sembla se soulever de terre tandis que je perdais conscience.
Lorsque je rouvris les yeux, j’étais assis sur une chaise devant un bureau métallique. J’entendais au loin les vivats de la foule, je devais toujours être dans l’entrepôt mais dans une pièce insonorisée.
- Diamant, fit-la voix d’un homme que je n’avais pas remarqué.
Il était assis sur un divan à ma droite. Il se leva, sortit un emballage de sa poche qu’il ouvrit dans la foulée avant d’enfourner une pastille de menthe dans sa bouche. Une forte odeur mentholée vint m’agresser les narines. Je réprimais mon dégoût et ma surprise pour ne pas lui laisser ce plaisir, mais je n’appréciais pas que mon interlocuteur en sache plus sur moi que l’inverse. Je n’avais pas l’habitude d’être reconnu. Il s’assit sur son bureau sans me quitter des yeux et repris en suçotant d’un air malsain.
- Tu dois te demander comment je sais, reprit-il avec beaucoup d’orgueil
- Pas vraiment répondis-je en essuyant un peu du sang qui me maculait le menton
- Ça fait longtemps qu’on te suit, reprit-il sans se préoccuper de ma réponse. Il avait visiblement l’air d’être en plein dans son trip méchant de James Bond, il allait me balancer tout son plan sans même que j’ai à demander. On en sait long sur toi.
Je continuais d’écouter en silence tout en réfléchissant à l’avenir. Mon interlocuteur venait visiblement de me sauver la vie, il n’allait donc pas me tuer tout de suite, il me suivait depuis longtemps, je l’intéressais donc. Je souris en songeant que mes chances de me sortir de cette histoire venaient de monter en flèche
- Tu n’imagines pas ma surprise lorsque je t’ai reconnu pendant le combat. Il faut dire que tu nous as pris de cours lors de ta dernière mort. Impossible de te retrouver. Jusqu'à ce soir…
- Et c’est quoi le rapport avec les clodos ?
- Aucun, tu t’es juste retrouvé dans une de nos combines plutôt rentables. On utilise la distribution de nourriture pour droguer les clodos et les rendre violent. Non seulement ça les rend meilleur sur le ring, mais en plus ça les marginalise tellement que personne n’en a plus rien à foutre. Pas d’enquêtes, les flics nous remercieraient presque et sinon, on gagne largement de quoi les rincer.
Je conserva le silence, j’avais quasiment tout deviné et ça ne m’inspirait guère plus que du mépris. L’envie de lui enfoncer les dents de devant dans le crâne me démangeait, mais j’avais déjà mal à la simple idée de me lever de ma chaise, je n’étais pas vraiment en état de lutter. Il se pencha vers moi, l’air satisfait et passa sa langue sur ma joue.
- Je vais t’avouer quelque chose. Tu me dégoûtes. Si on n'avait pas besoin de toi, j’t’aurais fait taire à ma façon.
- Quel dommage… Murmurais-je à son oreille, retenant l’envie de lui arracher à pleine dent.
- T’inquiète pas, on ne s’ennuiera pas pour autant. Je vais te camer jusqu’aux yeux pour que tu oublie toute cette histoire, et avant je vais tellement te défoncer que tu auras encore mal au cul après ton prochain changement de corps.
Je m’apprêtais à tenter le tout pour le tout quand la porte du bureau s’ouvrit avec fracas. Les hurlements provenant de l’entrepôt emplirent le bureau, la fête semblait avoir fait place à un véritable chaos. Noël apparut dans l’encadrement de la porte, il avait finalement réussi le plan. Ce n’était pas pour moi que j’avais supplié le garde, mais uniquement pour dérober son pass magnétique et le donner à mon ami. J’attendais de lui qu’il libère tous les prisonniers pour créer la panique et ça avait visiblement fonctionné. Mon tortionnaire sortit un revolver pour tirer sur Noël, faisant fi de la douleur, je me projeta sur lui pour dévier le tir. Je l’entraîna au sol avec moi tandis qu’il essayait de se dégager. Il avait presque réussi quand Noël lui mit un premier coup de pied dans la tête, avant de poursuivre à grands coups de chaise.
- Dépêche toi de sortir, hurla-t-il sans s’arrêter de taper, l’un des gardes à appelé des renforts, profites-en que ce soit encore le bordel !
- Et toi ?
- J’ai encore quelques comptes à régler et je te rejoins.
Je ne me fis pas prier plus longtemps. Mes cotes me faisaient un mal de chien, j’étais couvert de bleus et j’avais perdu beaucoup de sang. Ce serait déjà un miracle que j’arrive à m’en sortir. J’y réussis tout de même malgré la bousculade. En chemin, je déroba un manteau de fourrure abandonné sur le sol et l’enfila pour essayer de disparaître avec les spectateurs. Les gardiens complètement dépassé par leurs captifs devenus incontrôlable ne me remarquèrent pas. Je m’éloigna aussi vite que possible, prenant bien garde de ne pas être suivi. Je n’avais finalement pas eu le temps de poser mes questions à Noël, et je n’étais pas sur d’en avoir jamais l’occasion.