Théorem est un univers fantastique contemporain développé autour d’un jeu de rôle, entièrement téléchargeable, et d’un roman, publié au rythme d’un chapitre toutes les deux semaines.

Diamant

 

Présentation : Diamant est l’éboueur occulte du monde. C’est un magicien qui possède la faculté, lorsqu’il est sur le point de mourir, de voler le corps d’une personne également mourante pour se substituer à elle, un procédé qui lui permet de vivre depuis plusieurs siècles déjà. Après en avoir longtemps profité de façon purement égoïste, il s’emploie aujourd’hui à essayer d’aider son prochain, une tache d’autant plus difficile que son passé est un mystère hanté d’ombres prêtes à lui sauter à la gorge à tout moment.

 

Épisode 6: Le Château

 

Résumé : En quête d'informations sur « le puits des Passeurs » un puissant artefact qu'il a accidentellement mis à jour, Diamant se met en recherche d'un de ses vieux amis : Noël. Cette enquête le plongera dans un réseau de combats illégaux organisés par « soutien Vital », une fausse association humanitaire. Noël et Diamant mettent fin à leurs activités mais, ce faisant, notre héros se retrouve aux portes de la mort. Dans son agonie, Diamant se souvient de la Première Guerre Mondiale et de comment il s’est laissé manipuler par un ponte du parti Nazi, le docteur Mennecke. Tandis qu’il essaye de fuir l’Allemagne, il est forcé de sauter d’un train pendant que de nos jours, Line, la sœur de son ami qu’il avait sauvé des mains de trafiquants essaye de lui redonner des forces.

 

 

Si je voulais réussir à me remettre de mes dernières aventures, il fallait que j’évite de sortir et que je me repose.

Comme elle me l’avait promis, Line joua donc les parfaites petites infirmières à domicile. Par chance, son petit ami était en voyage d’affaire pour quelques semaines encore, elle avait donc tout loisir de passer s’occuper de moi (et moi de m’occuper d’elle). 

Si ça la démangeait visiblement, Line ne posait pourtant que peu de questions sur moi. Elle se doutait que j’étais plus âgés que j’en avais l’air, sinon son frère n’aurait jamais pris le risque de me mêler à ses affaires, mais elle n’avait aucune idée de combien d’année je pouvais avoir de plus qu’elle (et ne risquait pas de trouver vu que ça ne se comptait plus en année depuis plusieurs siècles).

Je sentis bien quelques tentatives de sa part d’en apprendre plus mais j’esquivais toujours habilement le sujet, et si elle avait un don pour délier les langues, j’avais une façon tout aussi habile d’user de la mienne. Bien sûr, j’aurais pu tout lui dire, après tout son frère était déjà au courant d’une bonne partie de mon histoire, mais je n’arrivais pas à m’y résoudre. Je n’en connaissais que trop les conséquences. D’une part, cela me couterait une fastidieuse justification dont je connaissais quasiment par cœur questions comme réponses tant je l’avais déjà vécu. Et d’autre part, je risquais de mettre la vie de Line en danger. Je vous l’ai déjà dit, on ne vit pas autant de vies que moi sans se faire des ennemies. Parfois, sans même que j’en connaisse la raison d’ailleurs. La conséquence directe, c’est donc que chaque personne au courant de mes petits secrets risque de s’attirer les foudres d’un paquet de gens peu recommandables. Je préférais donc repousser le plus tardivement possible ces révélations pas forcément inévitables.

Le temps passait, et malgré tout le plaisir que la compagnie de Line me procurait, je fulminais de me voir ainsi piégé dans mon propre appartement. J’en avais bien profité les premiers jours, quittant peu le lit, et révisant consciencieusement mon Kâma-Sûtra avec Line, mais l’appel de l’aventure fut rapidement le plus fort. J’enrageais de me sentir coincé et commençais à devenir imbuvable même pour moi.

Il fallait que je m’occupe et internet semblait la seule solution raisonnable. Je n’avais jamais été un grand fan d’informatique c’est d’ailleurs ce qui m’avait poussé à travailler avec Edwin. La force des choses m’a appris à me server d’un ordinateur mais j’ai toujours trouvé cela inutilement compliqué et dangereux. Compliqué, je n’ai pas besoin de vous expliquer pourquoi, quand on a eu la chance d’assister à l’invention de l’imprimerie et de l’électricité on se trouve forcément un peu démunie face à ce genre de machine. Et dangereux, pour tout un tas de raisons. Je trouve que l’informatique a les qualités de ses défauts. Elle permet de connecter l’humanité dans son ensemble. Elle efface les frontières entre le réel et le virtuel. Elle rend la connaissance accessible à tous. Avec l’informatique tout semble possible, comme avec la magie. A mes yeux, l’informatique est l’outil que l’homme a inventé pour pallier son manque d’accès à la magie. D’ailleurs certains magiciens utilisent l’informatique pour exploiter leur art. Et c’est ça qui m’inquiète, l’impression que Prométhée a volé le feu aux dieux et l’a installé dans tous les foyers sans se soucier de savoir s’il allait cramer toutes les baraques ou pas. C’est peut-être mon côté réac (à mon âge on a le droit), mais j’ai toujours considéré qu’il y avait une raison pour laquelle certains avaient accès à la magie et pas d’autres. Comme si nous vivions dans une sorte de méritocratie où ceux qui perçaient le voile du mystère avaient pour cela dû faire de profonds sacrifices personnels. Ok, ce n’était absolument pas mon cas et j’étais mal placé pour critiquer mais ça ne m’empêchais pas d’avoir un avis assez arrêté sur la question.

J’avais donc passé beaucoup de temps en ligne, essentiellement à faire des recherches. Ce n’était pas la matière qui manquait entre les passeurs, le puits des âmes et Saint-ange, je ne manquais pas de mystères à résoudre. Concernant les passeurs et le puits des âmes, sans grandes surprises je ne trouvais rien d’autres que des rumeurs, de vagues mentions historiques et des références à la culture populaire. Les passeurs étaient censés avoir tous disparus durant la Saint-Barthélemy mais d’expérience je savais qu’aucune purge n’était efficace à ce point. Mes recherches sur le puits des âmes me renvoyaient quant-à-elle constamment sur Bir el-Arweh, la grotte des esprits une grotte située au cœur de Jérusalem et où se masseraient les âmes des défunts. Je ne rejetais pas l’idée que les deux puissent être lié, peut-être n’y avait-il pas qu’un puit dans le monde et quel que soit leur effet réel c’était visiblement lié à la mort. J’en vins à me demander ce qu’il se passerait si je venais à mourir près du puit et je sentis que la réponse ne me plairait pas.

Pour finir, ma recherche sur Saint-Ange donna des résultats encore plus hasardeux. Tout ce que je savais c’est que c’était lié à un homme que j’avais rencontré à un moment de ma vie et que son nom était peut-être Saint-Ange. Mais ça pouvait tout aussi bien être: un pseudonyme, le lieu de notre rencontre, l’affaire de notre rencontre ou d’autres choses encore plus farfelues. Je trouvais donc dans le désordre un film, un manoir, un château, du vin, un medium, un saint, un ange, un restaurant, une carrière de pierre et un plombier. La vérité c’est que je trouvai de milliers d’autres résultats et qu’aucun n’éveilla le moindre souvenir en moi. Qui que soit cet homme, s’il ne s’agissait pas d’un simple délire provoqué par la fièvre. Je l’avais tout simplement oublié. Pire je me l’étais peut-être fait oublier pour une raisons que j’ignorais totalement.

 Puisque j’avais beaucoup de temps à occuper, je me décidais à creuser cette piste en cherchant de l’aide sur le corridor écarlate. Il s’agissait d’un groupe secret sur un réseau social et réservé aux occultistes du monde entier. Il avait été monté par un certain Warlord666 (pas de commentaires, internet a ses propres règles où le ridicule ne tue pas et rend populaire) qui assurait l’avoir sécurisé magiquement. Il faisait partie de ces nouveaux ayatollahs du spiritisme numérique dont les pouvoirs s’exprimaient essentiellement à travers les réseaux électriques. En dépit de mes réticences sur internet, je passais régulièrement sur ce groupe pour me tenir informé, a plus forte raison durant mon incarcération à domicile. C’était une source de connaissance inépuisable pour peu qu’on trouve le bon interlocuteur et c’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Chengzu. C’était un spirite tibétain spécialisé dans la manipulation de la mémoire. La discussion ne fut pas des plus simples mais avec beaucoup de patience et un site de traduction en ligne j’ai réussi à lui faire comprendre mon problème.

Je ne pouvais pas me rendre au Tibet ni lui en France mais ce grand gaillard avait plus d’un tour dans son sac. Usant du mode de visioconférence du réseau social comme d’un pont psychique entre nous deux, il réussit à se connecter à mon esprit pour m’aider à retrouver la mémoire. Son exploration fut longue et plutôt douloureuse pour nous deux et je ne saurais dire pendant combine d’heure je me retrouvais à hurler à la mort au désespoir de mes voisins qui menaçaient d’appeler la police entre deux coups de balais au plafond. J’avais eu beau baisser mes barrières de protection mentales, j’en avais visiblement érigées d’autres biens plus efficaces que j’avais oubliés depuis. Ces contremesure s’activèrent dès qu’il s’approcha de trop près des souvenirs qui me manquaient et déclenchèrent une bombe hypnotique dans son cerveau. Il fut soudain persuadé que des serpents s’étaient faufilé sous sa peau et qu’il devait les tuer pour survivre.  N’ayant aucune lame à portée de main c’est à coup de dent qu’il s’entailla le poignet. Toujours en état de transe, je n’avais moi-même pas pu l’empêcher de se faire mal et assistais impuissant à ce spectacle morbide. Heureusement, la douleur raviva certaines de ses protections et il put utiliser son sang pour dessiner les cercles de protections suffisant à faire disparaitre la suggestion. 

Si la scène s’était avéré très impressionnante et m’avait fait craindre de perdre mon nouvel ami, il s’en était brillamment sorti en pratiquant les premiers soins sans l’aide de personne. Un peu choqué, il m’apprit tout de même ce qu’il avait pu découvrir, à savoir que je n’avais pas oublié mes souvenirs mais qu’ils m’avaient été dérobés. Il n’avait donc aucun moyen de me faire retrouver la mémoire ces souvenirs se trouvant ailleurs que dans mon crâne. Tout ce qu’il restait en moi concernant saint-ange consistant en une série de contre-mesures  mortelles et la suggestion que je ne devais pas chercher à retrouver ces souvenirs. Une insistance qui aurait dû suffire à me décourager et pourtant, comme si je ne me connaissais pas, cela ne faisait qu’attiser ma curiosité. Qu’est-ce que j’avais bien voulu me cacher de si important ?

Cette question me hantait d’autant que j’avais énormément de temps pour réfléchir durant mon incarcération semi-volontaire. Heureusement je trouvais encore quelques sources divertissements. Il y avait Line d’abord, source inépuisable de plaisir que ce soit par la finesse de son esprit ou la souplesse de son corps. Et il y avait « le château ».

Soyons clair, je n’ai jamais été fan de la télévision. Si je dois bien reconnaitre le prodige technique et l’utilité réelle qu’il peut parfois en être fait, je considère qu’il s’agit surtout d’un instrument d’asservissement de masse : les jeux du cirque à la portée de tous, 24h/24h, de quoi s’assurer la docilité d’un peuple gavé d’informations inutiles. Pour autant, je reste humain, il m’arrive aussi de craquer et je dois reconnaitre ma fascination pour « le château ».

Il s’agit de l’une des pires émissions de téléréalité jamais créées.

Vingt candidats mous du bulbe réunis dans un vrai château. Ils n’ont aucun talent, et pour seule motivation de devenir des stars et de se faire un maximum de pognon en un minimum de temps. Il parait que nos jeunes doivent rêver d’être millionnaire, ceux-ci doivent donc représenter l’avenir glorieux de notre espèce. Toutes les semaines, les votes du public leur donnent un statut social. Le plus populaire devient le roi, ou la reine, il dort dans une suite luxueuse et peut donner des ordres aux autres candidats. Bien entendu, le plus impopulaire dort dans l’écurie et doit s’occuper de toutes les taches qu’on lui confie, rien de tel qu’un faire-valoir pour doper les audiences. 

Le gros plus de l’émission : la salle des défis.

Une salle où les candidats peuvent se rendre pour discuter avec les spectateurs. Les spectateurs peuvent leur donner toutes sortes de défis, encadrés par la production, qui leur donneront des avantages.

Inutile de dire que les défis sont tous plus débiles les uns que les autres et que l’humanité n’en sort pas grandis. Pourtant, cette émission a un effet quasi hypnotique sur moi, c’est un peu comme voir l’extinction de l’humanité au ralenti. Un sentiment étrange et entêtant.

Et puis, il y a Shannon !

Shannon a 20 ans, elle est Hair designeuse pour chien, fan de Matt Pokora et de shopping et dirige le château depuis bientôt 4 semaines. Tout porte à croire qu’elle remportera le jeu et elle n’a pas hésité à remporter pour ça des challenges aussi variés que : embrasser tous les autres candidats sur la bouche, faire pipi dans la piscine ou chanter la marseillaise en rotant… c’est une artiste complète. J’avoue avoir moi-même plus d’une fois proposé des défis de ma composition, que voulez-vous, il n’y a que les naïfs qui croient que la sagesse s’acquière au fil des ans.

Ce soir-là, Line et Edwin étaient venu assister à la soirée de qualification avec moi. Il ne restait plus qu’une semaine de jeu et le candidat qui obtiendrait la place de roi ou reine remporterait assurément le jeu. J’avais voté pour Shannon, je n’avais aucun doute sur ses chances de victoires même si je l’avais trouvé un peu moins énergiques ces derniers jours. Je n’avais pas vraiment réussi à convaincre mes amis de la qualité du programme, surement parce que je n’y croyais pas moi-même, mais ils avaient cédé devant la perspective de pizzas, de mojito et d’éclats de rire.

Et je ne leur avais pas menti, l’ambiance était excellente. Bien sûr, il fallait que je fasse attention à ne pas me montrer trop proche de Line car nous étions d’accord sur le fait qu’Edwin n’apprécierait pas forcément que sa si sérieuse petite sœur hétéro monogame et en couple s’envoie en l’air avec moi.

L’heure des résultats approchait et je ne tenais plus en place. La production avait réussi à ménager un suspens des plus complets en centrant l’épisode entier sur les candidats les moins populaires.  Un choix particulièrement risqué car nous étions nombreux à regarder l’émission pour les bons mots accidentels de Shannon. L’intensité était à son comble, sur les réseaux sociaux les fans de Shannon, les Shanzouzes dont j’avais la tristesse de faire partie, étaient comme fou et n’avaient de cesse d’inciter aux votes pour s’assurer de voir leur championne l’emporter.

Minuit approchait, le compte à rebours s’enclencha.

Est-ce que Jessica avait réussi à combler l’écart et destituer Shannon ? Elle avait déjà failli y réussir à deux reprises et depuis c’était Steve et Kevin qui s’approchaient dangereusement de la victoire. Après 5 secondes d’un décompte qui me sembla interminable le présentateur apparu enfin à l’écran pour faire tomber sa sentence.

Je n’en cru pas mes oreilles.

Shannon avait décidé de quitter l’émission pour raisons personnelles.

A une semaine de la fin de l’émission, la production avait donc choisit d’en profiter pour bouleverser les règles et d’élire le nouveau roi ou la nouvelle reine parmi les spectateurs.

Les réseaux sociaux explosèrent.

Dans mon esprit encore fragilisé par mes récentes aventures l’excitation se disputait la frustration. J’avais tellement focalisé mon attention sur Shannon que je ne pouvais concevoir l’émission sans elle. Et pourtant… Et pourtant, c’était une occasion unique que je ne pouvais laisser passer.

Dans un premier temps tétanisé sur le canapé, je me retournais soudain vers Edwin armé de mon expression la plus implorante. Usant de tous les stratagèmes possibles et ne rechignant devant aucune bassesse, je suppliais mon ami de hacker les serveurs de la production pour me faire gagner le concours.

Le petit écran n’attendait que moi, c’était l’occasion ou jamais.

Edwin désapprouvait totalement, c’était un risque stupide, j’étais encore affaibli, j’étais recherché, qu’allais-je m’afficher en public dans un lieu d’où je ne pourrais pas m’enfuir pendant une semaine ?

Line le soutenait, c’était un trop gros risque sans raison valable.

Ils avaient raison.

Je le savais.

Etait-ce les neuf mojitos qui parlaient ou juste mon insouciance naturelle mais je commençais pourtant à essayer de convaincre mes amis que la disparition de Shannon était si brutale que ça cachait forcément quelque chose.  En plus, le show était suivi par des milliers de personnes, il fallait s’assurer que ce mystère ne risquait pas d’être une menace pour toute cette audience.

Il était de mon devoir d’aller enquêter.

 

-          J’suis tellement sûr que t’es en train de m’embrouiller maugréa Edwin en plantant son regard dans le mien pour déterminer le pourcentage de mauvaise foi dans mes propos.

-          Tu ne risquerais pas la vie d’innocent juste pour avoir raison, répondis-je en m’assurant de le culpabiliser le plus possible.

-          Tu sais que tu es l’un des pires êtres humains que j’ai jamais rencontré ?

-          Merci, c’est important de toujours rester le meilleur dans ce qu’on fait. Fis-je en engloutissant la dernière part de pizza.

Sans prendre le risque de se lancer dans un interminable débat perdu d’avance avec moi, Edwin se mit donc à l’œuvre.

Non seulement il devait me faire gagner le jeu mais il devait surtout me créer une fausse identité suffisamment crédible pour qu’elle puisse tenir la semaine et résister à toutes les vérifications préalable de la production. De mon côté, je devais m’affairer pour que personne ne puisse reconnaitre Josette Chaumont.

C’est ainsi que Katya Kristina pénétra le château quelques jours plus tard.

Je n’avais pas économisé mes efforts et les présentateurs d’émission de relookage auraient été fiers de moi. J’étais « magnifaïk ».

Après plusieurs centaines d’euros chez le coiffeur, quelques autres en maquillage et lentilles de couleurs et enfin quelques derniers dans un institut de beauté j’étais fin prête. C’est ainsi qu’une grande femme d’une vingtaine d’année au teint halé, aux cheveux rose et aux yeux bleu électrique pénétra le château dans sa mini robe moulante en latex.

La présentatrice resta bouche bée en me voyant arriver et je crois même avoir réussi à choquer les autres participants. Un défi dont je n’étais d’ailleurs pas peu fière.  Les garçons se jetèrent sur moi comme des hyènes affamées, je n’avais jamais eu autant le sentiment d’être un os à ronger. Et ce n’est pas les signaux évidents de jalousie envoyés par les autres candidates qui allaient me mettre à l’aise. Mais peu importait, je n’étais pas venue me faire des amies. Croyez-le ou non, j’étais vraiment curieuse de résoudre la disparition de Shannon. On ne peut pas surveiller la vie de quelqu’un pendant plusieurs semaines sans s’attacher un minimum et j’avais suffisamment d’expérience pour sentir quand quelque chose était louche. Si c’était bien la curiosité qui m’avait motivé à participer à cette aventure, ce n’était pas tant celle de côtoyer les candidats de ce jeu inepte que d’en percer les secrets.

Mes premières heures durant le jeu consistèrent donc juste en un petit tour du propriétaire. J’avais laissé entendre à Steve l’ex petit ami de Shannon, qu’il ne m’était pas indifférent et les autres mâles m’avaient laissé en paix… pour le moment. La visite du château ne m’apprit pas grand-chose, j’en connaissais déjà jusqu’aux moindres recoins grâce aux différentes émissions, j’en savais probablement même plus que ses habitants puisque j’avais été informé de ses pièces secrètes. Non, ce que je découvris était beaucoup plus subtil. Je ne l’avais remarqué la télévision, même si ça avait dû m’affecter sans que je m’en rende compte, mais c’était impossible de ne pas le sentir une fois dans le bâtiment. 

L’ambiance y était terriblement lourde.

Se promener dans les couloirs du château c’était comme dériver dans un océan de négativité.  Plusieurs fois je manquais de boire la tasse et mes petits camarades semblaient s’y être noyés depuis bien longtemps. 

Durant la ballade, je soutirai un maximum d’informations à mon guide. Il répondit avec empressement à la moindre de mes questions convaincu d’accumuler des points dans sa piteuse entreprise de séduction. Il tiqua un peu lorsque le sujet dériva sur son ex mais quelques flatteries suffirent à le remettre dans de bonnes dispositions. Contrairement à ce qu’avait pu dire la production, Shannon avait disparu du jour au lendemain. Elle n’avait prévenu personne, n’avait laissé aucun message, elle s’était juste envolée.

Une disparition qui tenait d’ailleurs du miracle si l’on prenait en compte le fait que le château était équipé de caméra jusque dans les chiottes pour être sûr de ne rien manquer de croustillant. Désireux de prouver qu’il était bien célibataire, Steven m’avoua aussi qu’il avait plaqué Shannon la veille de sa disparition. Il m’expliqua que ces derniers temps, son caractère avait changé, elle était devenu moins sociable, plus négative ou comme il le disait dans son langage imagé « elle était devenu relou à toujours m’prendre la tronche pour de la merde ». Les autres participants étaient au diapason. Si le montage de l’émission n’avait pas permis de le remarquer, Shannon avait changé dans les jours précédents sa disparition. Les hommes rationalisaient en clamant qu’elle devait avoir ses règles, j’avais pour ma part quelques idées moins normative.

Mon tour du propriétaire m’avait permis de localiser l’origine du malaise. Le sentiment était devenu plus palpable à mesure que je m’étais approché de la pièce et je n’avais pas eu besoin d’en franchir la porte pour savoir que j’avais raison. Quoi qu’il se passe dans le château, la solution se trouvait dans la salle des défis. J’évoquais donc l’idée de m’y rendre pour la découvrir mais mes nouveaux camarades m’en découragèrent. L’écran y était cassé, un technicien devait venir le réparer mais n’était toujours pas passé, la salle ne fonctionnait donc plus depuis. Personne ne s’étonnait du fait que la disparition de Shannon et l’arrêt de fonctionnement de la salle soit concomitant ni du fait que le technicien qui était censé passer était lui aussi introuvable.

La solution crevait les yeux, il me restait juste à attendre le couvert de la nuit pour percer définitivement ce mystère comme le vilain bouton qu’il était.

Sandra lança un défi à boire, le temps passa soudain plus vite. Lorsque je rouvris les yeux, il faisait déjà nuit ou en tout cas la production avait simulé la nuit pour nous signifier qu’il était temps d’aller dans nos chambres. Je m’étais réveillé dans un lit avec Sandra, Jonathan, Pedro et Cynthia, je ne voulais pas savoir ce qu’il s’était passé après le dixième shot vodka kale et je priais pour qu’au moins ils aient filmé mon meilleur profil.

Sans faire de bruit, je me faufilais en dehors du dortoir pour me diriger vers la salle des défis. Le château s’était endormie, j’étais désormais tranquille pour enquêter. Les cameras étaient équipé d’un mode nightshot et continuait à tout enregistrer mais heureusement, à force de suivre l’émission, j’avais mémorisé presque tous les angles de tournage et je savais exactement où me placer lorsque je voulais disparaitre du champ. Je posais la main sur la poignée de la porte de la salle des défis et m’apprêtais à l’ouvrir lorsqu’on m’interpella.

-          Tu fais quoi ?

C’était Cynthia, elle m’avait suivi et n’avait visiblement pas complétement dessaoulé. 

 

-          Je cherche les toilettes, j’ai trop envie fis-je convaincu que le sac de botox qui me faisait face n’était plus en état de discerner le vrai du faux.

-          Han j’ai trop envie aussi, j’viens avec toi répondit-elle en poussant la porte devant moi.

C’était une petite pièce qui n’avait pour autre mobilier qu’un fauteuil en son centre et un écran plat accroché au mur. L’atmosphère y était singulièrement différente du reste du château et j’essayais d’en saisir la nature tandis que Cynthia s’installait dans un coin pour faire ses besoins.

Quelque chose me perturbait, et ce n’était pas le flux d’urine continu qui se déversait sur la moquette. Je fixais l’écran éteint, ce miroir noir absent de toute vie et, bien que je n’arrivais pas à comprendre quoi, je sentais que quelque chose n’allait pas.

Ce n’est que lorsque Cynthia, enfin soulagé, posa sa main humide sur mon épaule que je compris. L’écran était toujours désespérément noir, il ne renvoyait aucun reflet. Intrigué par cette découverte, je demandais à ma nouvelle amie de me confier une de ses chaussures. Elle s’exécuta sans réfléchir, elle n’en était plus capable dans son état, si tant est qu’elle le fut un jour. J’envoyais l’accessoire de mode s’écraser contre la télévision avec un résultat pour le moins inattendu. J’espérais la voir briser l’écran, je m’attendais à la voir rebondir mais ce qu’il se passa défiait toutes les lois de la physique ainsi que mes prévisions. La chaussure percuta mollement l’écran, y resta un instant comme engluée avant d’y couler jusqu’à disparaitre. En quelques secondes, l’écran était redevenu une fenêtre obscure et sans vie replongeant la pièce dans un calme angoissant.

-          Ma louboutin, à 1000 boulles !!! Hurla Cynthia en s’avançant vers l’écran pour récupérer sa chaussure

Le répit n’avait duré qu’une fraction de seconde.

J’étais encore en train d’essayer de comprendre ce qu’il venait de se passer lorsque, se rapprochant de la télévision, Cynthia  se fit happer et absorber. Elle n’eut pas le temps d’émettre le moindre son, et moi à peine celui de me reculer pour ne pas être emporté de la même façon. Loin de revenir à la normale, l’écran commença à se propager le long des murs. Je n’en étais pas certains mais je commençais à avoir ma petite idée sur ce qu’il se passait ici. Toute la négativité et les mauvaises ondes déversées dans cette salle avait fini par empoisonner cet écran et en faire un véritable trou noir. Si je n’agissais pas vite, non seulement il dévorerait le château dans son intégralité mais il fallait craindre qu’il finisse par engloutir le monde entier.

Je quittais la pièce en courant, paniquée à l’idée du défi que j’allais devoir relever. Derrière moi, l’obscurité engloutissait tout sur son passage, la situation était bien plus critique que je le craignais et je n‘avais guère qu’une poignée de minute devant moi pour réagir. J’étais la seule personne compétente dans les lieux, je n’avais aucun matériel adapté, j’allais donc devoir improviser un rituel en partant de rien.

Puisque le danger venait du négativisme et de tout ce qu’il y a de plus sombre en l’être humain, j’allais devoir m’appuyer sur une énergie plus positive, des valeurs plus saines. L’art me parut la meilleure solution.

Je réveillais donc dans l’urgence les autres candidats pour leur expliquer la situation. Sans surprise, ils n’en crurent pas un mot et se moquèrent de moi ou m’accusèrent de vouloir faire mon intéressante.

Décidé à pousser la blague plus loin, Steve avança même vers l’ombre en approche pour prouver que c’était triste à mon âge d’avoir peur du noir. Son petit sourire satisfait se crispa lorsqu’il senti la morsure de l’obscurité le long de son bras. Plus personne n’avait envie de rire une fois qu’il fut totalement englouti. 

Sans attendre, je profitais de la stupeur qui venait de frapper mes camarades pour reprendre le contrôle de la situation en les obligeants à fuir le danger avec moi.

Dans notre course effrénée, j’essayais de concocter un rituel capable de contrecarrer cette menace. La chance voulait que je me retrouve avec la crème de ce programme, j’avais donc des chanteurs, des danseurs, des acteurs et même un compositeur, des artistes accomplis capable d’improviser une comédie musicale, une œuvre unique, le dernier sursaut créatif capable de sauver l’humanité.

En tout cas, c’est l’histoire que j’aurais aimé vous raconter pour finir en apothéose mais je suis convaincu que vous n’êtes pas plus dupe que moi. J’étais entouré du fond du panier, c’était déjà beau qu’ils sachent lire et écrire alors je pouvais difficilement attendre d’eux la moindre once de créativité.

Il ne me restait donc qu’une dernière chance, faire appel à une énergie beaucoup plus primale, une force primordiale et créatrice, j’organisais donc une partouze rituelle.

Je mentirais en disant que c’était ma première, loin de là en fait. La luxure et le désir ont toujours été des moteurs très forts en termes d’énergie mystique. Je vous invite à vous pencher sur le tantrisme si le sujet vous intéresse. Et il est souvent plus facile de convaincre un groupe de gens de participer à une partouze qu’a un sacrifice.

En l’occurrence, cette orgie était notre dernière chance.

Seul, j’étais incapable d’empêcher quoi que ce soit et je pouvais difficilement attendre plus de mes compagnons d’infortunes. D’autant qu’ils ne déméritaient pas. Car si l’idée de vous ébattre avant la fin du monde a déjà du effleurer plusieurs d’entre vous, c’est une autre affaire que de le faire vraiment.

Garder son désir et sa fougue intacte alors que le danger s’approche de plus en plus assurément dévorant tout sur son passage. Poursuivre son étreinte passionnée alors qu’une ombre glaciale rampe sur votre pied en vous vouant à une mort certaine. Tout cela demandait une force de caractère, ou une totale inconscience, qui aurait pu manquer à mes compagnons d’infortunes.

Autour de nous, tout sombrait, meubles, murs, plafond, ne restait que notre petit groupe entremêlé au cœur d’un maelstrom de ténèbres. Je sentais l’angoisse poindre entre les soupirs et les gémissements, mais j’usais de tous mes talents pour les garder concentré.

Je voyais bien que mon plan fonctionnait, il fallait faire front, tenir bon, nous pouvions vaincre cette océan de négativité, c’était une question de seconde, il suffisait d’y croire de se battre plus fort, plus longtemps jusqu’à l’explosion finale.

Dans la frénésie du moment, j’avoue avoir moi-même perdu pied. Comme tous, je m’étais totalement abandonné dans cette union pour essayer de nous sauver. Je m’étais donné corps et âme, oubliant où commençait mon corps et où il se terminait, perdant notion du temps et même de l’espace. Je sentais le mal s’approcher, inexorablement, mais notre envie de vivre était la plus forte.

Lorsque je rouvris les yeux, nous étions allongé, nus, les uns sur les autres ou dans les autres au beau milieu du parc du château. De celui-ci ne restait qu’une portion de mur sur lequel était accroché un écran de télévision fissuré. Je le fixais un moment, incrédule, il tomba brusquement et se brisa au sol sans réveiller les autres candidats.

Je disparu sans attendre, laissant à d’autres le soin d’expliquer à la production et aux autorités ce qui avait bien pu se passer ce soir-là.

Katya Kristina fut ainsi ajouté à la courte et inexplicable liste des disparus.  Les pertes financières colossales causèrent la fin prématurée de l’émission mais je ne doutais pas qu’elle renaitrait sous ce nom ou un autre, ni même que d’autres producteurs sauraient niveler leurs exigences vers ce standard. Il me faudrait désormais être plus vigilante pour éviter que la situation ne se reproduise, mais alors que, débarrassée de mes artifices, je retournais péniblement à mon appartement, je ne pouvais m’empêcher de me réjouir de l’ironie d’avoir empêché l’univers de s’éteindre dans un gang bang.

 

 

 

 

 

 

 

 

Fenriss 2019