Théorem est un univers fantastique contemporain développé autour d’un jeu de rôle, entièrement téléchargeable, et d’un roman, publié au rythme d’un chapitre toutes les deux semaines.

Résumé : En quête d'information sur « le puits des Passeurs » un puissant artefact qu'il a accidentellement mis à jour, Diamant se met en recherche d'un de ses vieux amis : Noël. Cette enquête le plongera dans un réseau de combat illégaux organisé par « soutien Vital », une fausse association humanitaire. Noël et Diamant mettent fin à leurs activités mais, ce faisant, notre héros se retrouve aux portes de la mort.

Sortir fut l'enfance de l'art, les gardiens étaient tellement occupés à essayer de contenir la révolte de leurs prisonniers devenu incontrôlable qu'ils n'imaginaient même pas devoir surveiller une éventuelle évasion. Mais, il ne s'agissait que du début de mon calvaire. Toujours dissimulé sous le manteau de fourrure que j'avais ramassé par terre, je quittais le bâtiment tant bien que mal, essayant à toutes forces de ne pas perdre conscience.
Je m'éloignais en titubant de mon lieu de détention, m'appuyant contre les murs qui croisaient ma route pour aider mes jambes vacillantes et ne pas m'effondrer au sol. Au bout d'un temps qui me sembla une éternité, la clameur de panique que j'avais laissé derrière moi ne fut plus qu'un murmure et je quittais définitivement les sordides allées de la banlieue où je me trouvais pour rejoindre une artère plus passante. Je hélais un taxi de passage, la chance avait voulu que mon manteau, en plus de me donner une allure plus propre à faire s'arrêter les chauffeurs de taxi, soit bourré de liasse de billet. À peine le véhicule avait-il démarré que je perdis une nouvelle fois connaissance.
Des serpents rampaient sous mon crane et mordaient à pleine dent mon cerveau comme milles aiguille électriques. Un boum retentissant me replongea dans mon passé. Je baissais instinctivement la tête comme pour éviter un éventuel éclat. Une odeur d'urine, de crasse et de boue m'emplit les narines. Autour de moi, des regards fatigués, effrayés, mais résolus. Le ciel était gris et la terre sombre, comme gorgé du sang d'innocent. Je reconnus la Marne alors que je sentais une main réconfortante se poser sur mon épaule. C'était celle de l'adjudant chef Hans Gorki. J'avais fait sa connaissance au début du conflit, un homme intègre comme on en faisait plus. Contrairement à moi, il s'était engagé volontairement pour défendre son pays, convaincu que les rouges étaient une menace pour le monde entier et que c'était le devoir de tout homme de les combattre. Souvent, il se plaignait d'ailleurs de ne pas pouvoir botter lui-même quelques culs bolchéviques au lieu de s'en prendre aux Français. Mais tel était le plan. Si j'avais bien tout suivi, un certain général Schlieffen avait décrété que le seul moyen de vaincre les cocos, c'étaient de les isoler de leurs alliés au plus vite. C'est comme ça que je m'étais retrouvé mobilisé pour la France. Une guerre sale, mais qui tournait en notre faveur jusqu'alors. Sous les ordres de Gorki, nous avions franchi la Marne et n'avions pas perdu une seule bataille. Il faut dire qu'ils étaient plutôt durs à louper les Français avec leurs jolis pantalons rouge. Mais nous étions bien les seuls à le penser et l'adversaire nous avait finalement acculé dans la région de Villers-Cotterêts. Cette journée avait des allures de fin du monde et je ne voulais pas la revivre, car je ne savais que trop bien comment elle se terminait. Après un discours galvanisant de Gorki, nous partîmes tous à l'assaut des lignes françaises, la baïonnette au clair. Les obus explosaient de tout côtés et j'entendais mes compagnons de lutte tomber les uns après l'autre, jusqu'à ce qu'un obus explose à ma gauche. L'adjudant se pencha vers moi : « Tu ne vas pas mourir, rassure-toi ! » me dit-il. Une phrase qui sonnait comme une sentence, mille voix semblaient la prononcer en choeur à travers le temps, alors qu'une nouvelle explosion retentissait.

Je tombais au sol face contre le trottoir et je repris conscience. Le chauffeur du taxi hurlait contre moi, je compris que nous étions arrivés et qu'il avait essayé de me réveiller. La banquette était couverte de mon sang, il criait comme un putois qu'il n'aurait jamais dû prendre une clodo. À peine avais-je sortie mon rouleau de billet qu'il s'en empara avant de disparaître. J'usais de mes dernières forces pour me relever et rentrer chez moi. Je laissais une traînasse ensanglantée sur le digicode, m'effondrais à moitié dans l'ascenseur, trouva ma clé de secours tant bien que mal et m'évanouis à peine le seuil franchi laissant la porte claquer derrière moi.
Le vide se fit dans mon esprit, un vide douloureux comme une vie volée. Les serpents resserrèrent leur étreinte sur mon cerveau, je me sentais mourir à petit feu.

Quand je rouvris les yeux, je sus immédiatement où je me trouvais. Berlin, le 7 novembre 1923. L'air était froid et je venais de conclure une affaire juteuse plus ou moins légale. Je n'étais pas mort durant la guerre. Comme promis, l'adjudant Gorki m'avait sauvé mais à quel prix ? Pour récompenser notre bravoure, nous avions reçu la croix de guerre. En ce qui me concerne, je l'avais revendu quelques semaines plus tard contre une bouteille de schnaps. Mes haut-faits de guerre décorait suffisamment mon visage à mon gout pour que je n'ai pas en plus à exhiber ma honte sur ma poitrine. L'explosion m'avait laissé complètement défiguré, la peau calciné laissant apparaître les muscles et avec la moitié de la mâchoire en moins. Je ne valais guére plus qu'un monstre de foire et mes concitoyens ne se gênaient pas pour me le rappeler. Loin d'être considéré comme un héros de guerre, l'on me traitait comme un moins que rien, me reprochant à demi-mot l'échec de la guerre et la situation de l'Allemagne. À force de subir ce traitement, j'étais moi-même convaincu que c'était normal. Plusieurs fois, j'avais faillit mettre fin à mes jours, songeant qu'une nouvelle enveloppe, apaiserait mes troubles intérieurs, mais jamais je n'eus le courage de passer à l'acte. J'avais appris depuis un moment déjà que mes morts n'étaient pas sans conséquences. Je savais que mon aura se fissurait un peu plus à chaque fois et j'étais terrifié à l'idée des conséquences que cela pouvait avoir. De plus, je n'arrivais pas à chasser une phrase de mon esprit : « Tu ne pourras pas éternellement fuir qui tu es ». C'était un souvenir très ancien, datant de ma rencontre avec Shimon bar Yohaï, un vieux sage qui m'apprit beaucoup sur moi-même. Il était convaincu que j'étais le Juif Errant et que ma destinée était liée à celle de son peuple. Quelle ironie quand j'y repense. En tout cas, loin de garder cette conviction pour lui, il la partagea à tous ses fidèles qui firent passer le mot. C'est ainsi que je devins le protégé du peuple élu. Il me suffisait de m'identifier clairement pour recevoir gite, couvert et protection. Pour autant, je m'en servis le moins possible. Cette idée me dérangeait, et me dérange encore plus aujourd'hui. L'après guerre fut donc une période particulièrement sombre pour moi. Je vécus d'expédients, travaillant dans l'ombre plus que jamais. Le marché noir s'étant développé sous l'occupation Française et la pègre ayant besoin de toutes sortes de talents, je sortis aisément mon épingle du jeu. Il m'arrivait encore d'aider mon prochain sans arrière pensée, mais c'était plus souvent par accident que par choix réel.

Ce soir là donc, le 7 novembre 1923, alors que je n'aspirais qu'à rentrer me terrer chez moi dans la pénombre bienveillante de la nuit. Je tombais nez à nez avec l'adjudant Gorki. Trop occupé à fuir le monde qui m'entourait, je ne le reconnu pas. C'est lui qui m'interpella en me retenant par le bras. Il n'avait pas changé, il affichait toujours le même sourire et son regard brillait encore de cette lueur d'idéalisme qui m'avait tant séduite. Ce soir là, elle me donnait envie de lui crever les yeux. Il arborait fièrement toutes ses médailles, sa croix de guerre bien sûr mais également son bras gauche, atrocement déformé ainsi qu'une jambe de bois. Il était ravi de me voir et insista pour qu'on aille boire une pinte. Je n'eus pas la force de protester, son assurance était désarmante. Il me traîna donc dans une brasserie proche et nous nous installâmes pour discuter du temps passés. Comme d'habitude je voulus prendre une table au fond pour ne pas me faire remarquer mais l'adjudant insista pour qu'on se mette sur une table libre au milieu de la salle. Non seulement il n'avait aucune honte de son état, mais il en était fier. Ce fut très dur pour moi de l'admettre. Il me raconta ces dernières années, il s'était lancé dans la politique et avait rejoint le parti National Socialiste. Il m'expliqua que comme moi, au sortir de l'hôpital, il s'était senti rejeté et avait eu du mal à retrouver une vie normale. Mais, sous les conseils de son médecin, il avait trouvé au sein du parti le soutien nécessaire pour lui permettre d'aller de l'avant. Il s'était donc engagé de plus en plus jusqu'à faire partie des dirigeants de la section de gymnastique et de sport du parti. Il m'apprit également que quelques-uns de nos anciens camarade l'avaient rejoint et avaient eux-aussi trouvé une forme d'équilibre. Il discuta longuement sans que je ne prenne jamais la peine de le couper, je ne tenais pas particulièrement à parler de moi et son optimisme avait quelque chose d'apaisant. Il m'exposa son avis sur les conséquences de la guerre, sur l'état du pays et sur nos dirigeants, et je pouvais difficilement le contredire. Il mettait des mots sur mes frustrations et ma souffrance et ça faisait du bien de se sentir enfin compris. Au coeur de la nuit, il remarqua l'heure et s'aperçut qu'il devait partir. Il m'expliqua qu'un important rendez-vous l'attendait demain et me demanda si j'aimerais voir l'histoire en marche. Une petite voix hurla au fond de moi que lorsque l'histoire se mettait en marche c'était toujours pour écraser les hommes dans mon genre, mais je répondis oui. La curiosité, ou la confiance, que m'inspirait Gorki était plus forte que la raison, j'avais envie de le suivre au bout du monde.

Le lendemain, après un court repos, je me retrouvais donc dans une autre brasserie, la Bürgerbräukeller, dans laquelle Gustav Von Kahr, un responsable d'une faction de droite, tenait un meeting. Caché au fond de la salle, j'observais en silence me demandant en quoi cette réunion pourrait marquer l'histoire, quand une centaine d'hommes en armes prirent possession du lieu. Je reconnu sans mal mon ami parmi les meneurs. Un homme sortit des rangs, il ne ressemblait pas à grand-chose et ça tête ne m'évoquait rien. Il se présenta comme un des dirigeants du parti Nazi, un certain Hitler. Il était petit, plutôt repoussant, mais il savait parler et il me comprenait. Je crus réentendre le discours de mon ami la veille, lui aussi connaissait ma frustration d'avoir perdu la guerre, mon sentiment d'être abandonné par mes dirigeants et ma souffrance d'être soumis à l'occupant. Nombreuses voix s'élevèrent dans le bar pour acquiescer à son discours, j'étais de ceux là, il fallait que les choses changent. Son discours terminé, il nous laissa avec l'un de ses lieutenants, un certain Ernst Rohm, tandis qu'il emmenait Von Kahr et les autres représentant de la droite à l'écart. Le but d'Hitler était simple : marcher sur Berlin et il aurait certainement pu réussir sans la trahison de Von Kahr. Cela mit terme au Putch, mais lança la carrière d'Hitler. Pour ma part, l'homme m'avait convaincu et moi qui, mieux que tout autre, aurait dû deviner comment les choses tourneraient, je m'engageai dans le parti Nazi.
J'entrouvris les yeux, mon visage était collé au parquet de mon entrée. J'avais la gorge sèche et la faim me tiraillait. Je n'avais plus la force de me déplacer et devais économiser mes forces. La chance voulut qu'un emballage de pizza et un paquet de bière entamé traînaient dans l'entrée, je réussis sans trop savoir comment à ouvrir et renverser une bouteille. J'en lapai à même le sol pour m'hydrater puis avala quelques bouchées de la quatre saisons avant de m'enfoncer encore plus lourdement dans l'inconscience. Avec un peu de chance je ne m'étoufferais pas dans mon vomi pensais-je en sombrant. Une nouvelle décharge me replongea dans le passé, quelque chose semblait vouloir obstinément se rapppeller à moi, tandis qu'autre chose m'échappait toujours. Mon esprit écartelé entre une menace et un espoir semblait perdre pied.

Si le putsch avait été un échec cuisant, il se révéla finalement une réussite inespéré pour le parti. Hitler était devenu un martyre, son procès fut une véritable tribune en sa faveur et ses idées se propageaient chaque jour un peu plus au sein du peuple en colère. Condamné à cinq ans d'emprisonnement pour trahison, il ne passa finalement même pas une année dans sa cellule. Un temps mis à profit pour repenser sa stratégie et poser les bases de son idéologie. À sa sortie, interdit de parler en public, il s'occupa de restructurer le parti et de le renforcer tandis que ses adhérents étaient chaque jour plus nombreux. Moi-même, j'étais devenu un fervent partisan et Gorki avait insisté pour me présenter le docteur Mennecke, celui-là même grâce à qui sa vie avait repris sens. C'était un homme aimable, cultivé et vraiment passionnant. Nous nous croisâmes à plusieurs occasions, meetings, manifestations sportives ou juste au restaurant et je prenais toujours un grand plaisir à converser avec lui. Je devins bientôt l'un de ses amis proches, me rendant toutes les semaines dans sa grande maison bourgeoise du coeur de Berlin pour des soirées informelles. Cette nouvelle amitié me faisait beaucoup de bien, je remontais enfin la pente.
En fait, tout aurait pu être parfait si cela ne m'avait pas éloigné de mon ancien ami l’adjudant chef Gorki. Celui-ci ne semblait pas avoir supporté que je sympathise à ce point avec son docteur et commença très clairement à m'éviter. Je ne m'en rendis pas compte immédiatement, cela se fit tout doucement, par allusions, jusqu'à ce que je comprenne que je n'étais plus le bienvenu. Cela me blessa bien sûr, Gorki était un vrai héros à mes yeux, un de ces hommes ordinaires qui avaient su dépasser leur condition tout en prenant soin des autres. Mais la nature humaine nous rattrape toujours et la jalousie ronge même les plus vertueux. Je dû donc me faire une raison et arrêter d'essayer d'arranger les choses avec lui, préférant me concentrer sur mes nouveaux amis, mais les choses n’allaient pas tarder à se gâter.

Un soir, que j'arriva en premier chez Mennecke, je le surpris à essayer de me cacher quelque chose. Un objet de petite taille qu'il s'empressa de dissimuler dans un tiroir de son bureau dès qu'il m'entendit passer la porte. La culpabilité se lisait sur son visage et je savais bien pourquoi. Il ne m'avait suffit que d'une seconde pour identifier l'objet de son embarras. Une « orbe de Calix » un très ancien artefact servant à stabiliser des invocations. Pas vraiment l'objet le plus dangereux que je connaisse mais suffisament placé en de mauvaises mains. Mon ami sourit d'un air gêné murmurant un « ah tu es déjà là ». Je fis mine de n'avoir rien vu songeant qu’une confrontation directe ne m'amènerait probablement à rien et je m'excusa d'être arrivé en avance.

- Tu te demandes ce que je faisais, reprit le docteur après un long silence embarrassé.

- Ah, non, pas de soucis, tu devais travailler je suppose fis-je de l'air le plus innocent qu'on puisse avoir avec la moitié de la mâchoire en moins.

- Tu vas surement trouver ça stupide poursuivit-il visiblement désireux de s'épancher. En fait, je suis fasciné depuis toujours par la magie et un collectionneur m'a vendu cet objet en m'affirmant qu'il avait des pouvoirs. Il servirait à accomplir des rituels.

Je le regardai fixement, ne sachant quoi répondre, j'avais l'impression de me trouver devant un enfant fou de joie d'ouvrir son colis piégé de Noël.

- Bon, j'arrête de te parler de ça, tu me prends pour un fou, conclut le docteur devant mon absence de réaction.

- Non, non, c'est intéressant, repris-je désireux d’en apprendre plus sur ses recherches, c'est juste que je ne m'attendais pas à ça de la part d'un scientifique.

- C'est vrai ? ça t'intéresse aussi ? renchérit-il dans la foulée visiblement fou de joie de me voir partager sa passion. Écoutes, avec des amis nous nous réunissons une fois par mois pour parler magie, tu voudrais te joindre à nous ?

Bien sûr, fut la seule chose que je trouvais à répondre. Comment pouvais-je dire non à une opportunité de surveiller un groupe de magicien du dimanche. S'il ne s'avérait vraiment pas dangereux je pourrais toujours abandonner sous un prétexte quelconque, mais si je décelais le moindre soucis, cela m’offrait l’occasion unique de pouvoir intervenir avant que ça ne devienne ingérable.

C'est ainsi que je me retrouvais mêlé au club d'occultisme du parti, un petit cercle de six personnes désireux de percer les arcanes de la vie et de voir comment cela pouvait aider le mouvement. Un but plutôt ambitieux que nous n'étions pas prêt d'atteindre, le groupe n'était composé que de joyeux illuminé loin d'être une menace pour l'humanité. Il m'apparut très clairement qu'aucun membre ne s'y connaissait vraiment en magie et qu'ils ne faisaient que tâtonner. J'assistais donc à chaque réunion avec la bienveillance de l'éducateur apprenant à lire à des enfants en bas-âge, j'essayais de guider le groupe l'air de rien dans la bonne direction pour éviter qu'il ne s'aventure dans des pratiques trop hasardeuses. Au final nous n’allames jamais guére plus loin que de la recherche, de la méditation et du partage d’énergie.
Ma vie avait pris un tournant plutôt plaisant. J'étais entouré de personnes qui m'appréciaient, je me sentais utile et bien dans ma peau malgré son piteux état. 1932 approchait, je ne le savais pas encore mais le parti s'apprêtait à vivre de grands bouleversements et moi avec.

Une nuit que je rentrais d'un de nos rendez-vous occulte je fus interpellé dans la rue par une voix connue. « Tu te crois spécial !» vociférait Gorki passablement éméché.
« Tu te crois meilleur que nous » m'invectiva-t-il en me menaçant du doigt. La jalousie le dévorait, il ne supportait plus de ne plus bénéficier de l'attention du bon docteur et me révéla de précieuses informations dans son délire. Quelle ironie que même inconsciemment, le capitaine ait agit en héros en me permettant d'ouvrir les yeux.
Il explosa de rire et jubila en avouant que j'étais bien naïf de croire que nous nous étions retrouvé par hasard. Ce fameux soir, cela faisait déjà une semaine qu’il me cherchait pour le compte de Mennecke. Il était chargé de m'enrôler et de me faire innocemment rencontrer le bon docteur. Je m'étais laisser berner comme un débutant, il avait totalement endormi ma méfiance en me faisant croire que j'avais un coup d'avance. Mon prétendu ami avait fait exprès de se laisser surprendre, son but avait toujours été de m'enrôler dans son cercle de magicien, un cercle qui cachait probablement bien son jeu. La vérité m'avait frappé brutalement, presqu'autant que la bouteille de Schnaps que Gorki venait d'essayer de me fracasser sur le crane. Je réagis d'instinct et l'assomma d'un coup dans le buffet. Il ne pensa même pas à l'esquiver tellement il était imbibé.

Il me fallait fuir au plus vite. Je m'étais laissé piéger dans quelque chose qui me dépassait, je devais m'en extraire sans tarder. Je rentrais précipitamment chez moi pour récupérer mon argent et les quelques objets précieux que je ne voulais pas qu'on me dérobe puis me rendis à la gare dès la première heure. N'importe quel train ferait l'affaire, je devais juste quitter le pays.

Lorsque le train démarra, je pu enfin retrouver mon calme. Comment avais-je pu me laisser entrainer dans cette histoire. Il était tellement évident que cela finirait mal, comment avais-je pu me bercer d'illusion, mais surtout qu'est-ce que le Parti me voulait réellement ? Savait-il qui j’était vraiment ?

En proie au doute, je regardais le paysage enneigé défiler dehors, le train avait pour destination la Russie, pas franchement ma destination de prédilection mais le hasard avait tranché pour moi. De là-bas, je m'envolerais surement vers un ailleur plus lointain. Mieux valait creuser l’écart entre Mennecke et moi tant que je n’en savais pas plus sur son but me concernant. Seul dans ma cabine, je fus tenté de faire une sieste pour me remettre de la nuit blanche de la veille mais choisit, avant ça, d’aller me vider la vessie pour pouvoir m'endormir plus serein. C'est arrivé devant les toilettes que je le vis : Gorki. Il était au bout du couloir qui me faisait face, dévisageant ls voyageurs un à un et venait de croiser mon regard. Il ne fallait pas être devin pour comprendre ce qu'il voulait, il avait probablement avoué son erreur au docteur et s'était retrouvé chargé de me retrouver. Je pris donc mes jambes à mon coup, bousculant une vieille dame au passage, je traversa le wagon en courant. Je n’avais aucune chance de disparaître d'un train en marche mais j'espérais bien que mon poursuivant ignore tout de mes talents d'illusionniste. Mon plan était on ne peut plus simple, m’éloigner suffisament pour pouvoir changer d’apparence hors de sa vue et ainsi me débarrasser de lui sans heurt. C'était donc avec cette idée en tête que je courais comme un forcené en quête d'un endroit plus discret. Se faisant, je heurtais un jeune homme dans la force de l'âge et à la tenue ne laissant peu de doute quant à son appartenance au parti. Evidemment, Gorki n’était pas seul. J'essayais de poursuivre ma route, mais l’homme me retint et me projeta contre la porte du wagon. Je n’avais pas de temps à perdre, Gorki allait nous rattraper d’ici peu. Je lança donc ma valise sur mon adversaire tout en bondissant pour l'assomer. Surpris par la rapidité de ma contre-offensive, le jeune homme fut pris de cour et se retrouva la tête dans le mur. Je profitais de son étourdissement pour ouvrir la porte du train avec la ferme intention de le jeter par-dessus bord, ce serait toujours un opposant de moins à affronter en cas de problème. Mais mon adversaire était plus résistant que prévu et brandissait désormais une arme. J’entendais Gorki arriver, j'étais acculé et ne trouva rien d’autre à faire qu’un acte désespéré. Je profita donc de la proximité pour agripper mon adversaire et nous propulser hors du train. Au loin j’entendis hurler Gorki.

« Tu ne vas pas mourir, rassure-toi ! » une voix que je connaissais. Une menace et une promesse entendue de tout temps. Mes souvenirs d'alors sont brumeux, mais je me sentis flotter, comme si mon corps s'envolait. Je n'avais plus la moindre notion de temps, peut-être étais-je finalement mort de faim dans l'entrée de mon appartement. Dans les ténèbres de mon inconscience émergea un visage. Il était indistinct mais émanait de lui une douceur et une lumière qui m'irradia. Il évoquait quelque chose de puissant en moi sans que j'arrive à comprendre quoi. Je revivais en sa présence, j'avais envie de me battre, de lutter jusqu'à mon dernier souffle et de gouter à tous les fruits que la nature voudrait bien m'offrir. Mes lèvres effleurèrent celles de ma vision. Elles étaient douces et humides. Une puissante chaleur m'envahit. Mon baiser chaste devint plus hardi. Je ne suis pas sur de ce qui arriva ensuite, mais mon corps tout entier s'y employa avec l'énergie du désespoir. Je me sentais revivre tandis qu'un souvenir vivace m'imprégnait. Le visage d'un homme que je ne connaissais pas, mais que j'aimais plus que tout. Alors que je m'endormais à nouveau dans des bras inconnus et chaleureux, un frisson me parcouru l'échine. Un serpent jaillit du passé et plus déterminé que jamais à étendre son influence.