Théorem est un univers fantastique contemporain développé autour d’un jeu de rôle, entièrement téléchargeable, et d’un roman, publié au rythme d’un chapitre toutes les deux semaines.

Présentation : Diamant est l’éboueur occulte du monde. C’est un magicien qui possède la faculté, lorsqu’il est sur le point de mourir, de voler le corps d’une personne également mourante pour se substituer à elle, un procédé qui lui permet de vivre depuis plusieurs siècles déjà. Après en avoir longtemps profité de façon purement égoïste, il s’emploie aujourd’hui à essayer d’aider son prochain, une tache d’autant plus difficile que son passé est un mystère hanté d’ombres prêtes à lui sauter à la gorge à tout moment.

 

Résumé : En quête d'informations sur « le puits des Passeurs » un puissant artefact qu'il a accidentellement mis à jour, Diamant se met en recherche d'un de ses vieux amis : Noël. Cette enquête le plongera dans un réseau de combat illégaux organisé par « soutien Vital », une fausse association humanitaire. Noël et Diamant mettent fin à leurs activités mais, ce faisant, notre héros se retrouve aux portes de la mort. Dans son agonie, Diamant se souvient de la Première Guerre Mondiale et de comment il s’est laissé manipuler par un ponte du parti Nazi, le docteur Mennecke. Tandis qu’il essaye de fuir l’Allemagne, il est forcé de sauter d’un train pendant que de nos jours une étrange apparition semble venir lui porter secours.

 

 

J'ouvris les yeux au paradis. La douce clarté matinale chatouillait mon visage et mon être tout entier semblait plongé dans du coton. Je ressentais encore cruellement les douleurs de la veille dans tout mon corps et pourtant je me sentais revivre. Une douce chaleur inondait tout mon être, celle de la peau satinée d'une poitrine collée contre mon dos. Je me tournais tant bien que mal dans le lit pour faire face à l'ange qui m'avait sauvé la vie et la surprise fut de taille.

- Me regarde pas avec ces yeux là, maugréa Line, encore mal réveillée, devant ma mine déconfite.

- Ça t'arrive souvent d'abuser d'honnêtes femmes sans défense ? rétorquais-je au comble de la mauvaise foi pour dissimuler mon trouble.

- Genre fit-elle en me repoussant et en feignant de se lever.

- C'est pas vrai peut-être ?

- Surement pas, objecta-t-elle en enfilant son soutien gorge, j't'ai sauvé les miches alors un peu de respect.

- C'est-à-dire ?

- C'est-à-dire que sans moi tu serais en train de t'étouffer dans ton vomi là.

Je ne répondis pas, me contentant d'admirer sa superbe chute de rein, elle marquait un point, sans son intervention j'y serais passé de la pire des façons possibles et soyez sûr que j'en ai expérimenté des manières de mourir.

- Edwin était inquiet de pas avoir de nouvelles, poursuivit-elle sur un ton plus sérieux. Alors, comme j'en avais marre d'être enfermé pour mon sevrage, j'ai insisté pour venir. La porte était ouverte, je t'ai trouvé à moitié mort dans le couloir. Je t'ai apporté les premiers soins et t'étais visiblement bien moins mort que tu en avais l'air parce que tu m'as carrément sauté dessus.

Je n'avais pas bougé durant toute son explication, la regardant déambuler devant la fenêtre, sa silhouette baignant dans la lumière du matin comme un ange descendu sur terre pour nous enseigner l'amour. Le choc d'un oreiller contre mon visage me sortit de mes rêveries.

- Et pas un mot à Edwin ou à mon petit copain, fit-elle de son air le plus sévère.

- Ton petit copain ? répétais-je estomaqué tandis que Line faisait mine de vouloir me frapper.

- Motus !

- Mais t'es une vraie garce ironisais-je en la tirant contre moi.

- Ce qui est arrivé hier était exceptionnel et ne se reproduira plus ! Compris ?

- Même pas maintenant alors qu'on est tous les deux au lit à moitié nu ?

- Dans tes rêves !

- Impitoyable femelle !

Je restais immobile, la serrant contre mon corps, son contact avait quelque chose de rassurant. J'essayais de me remémorer clairement les derniers événements, tout était encore très flou même si quelque chose semblait vouloir s'imposer à moi, je repensais à l'Allemagne sans trop savoir pourquoi. Seule la chance m'avait permis de m'évader du train. Entrainé dans ma chute, mon agresseur m'avait tiré dessus mettant ainsi fin aux jours de ma vieille carcasse toute cabossé. L'impact avec le sol l'avait également tué sur le coup, m'offrant une nouvelle enveloppe jeune et fringuante à investir. J'avais rejoint la Russie en marchant essentiellement, mais aussi en profitant de la générosité de quelques inconnus croisés au gré de mon périple. J'avais quitté le pays aussitôt par la voie des airs, résolu à ne pas laisser la moindre piste à mes poursuivants. De fait, la seconde guerre mondiale ne fut pour moi qu'une longue succession de Royal Hawaiian. Fuyant le conflit, je m'étais rendu par des biais détournés à Honolulu où j'avais trouvé un modeste emploi de plongeur dans un hôtel de standing. Dire que je profitais de la vie serait un euphémisme, sortie de ma carcasse atrophié je reprenais enfin gout à l'existence et rattrapais tout le retard accumulé ces dernières années sous toutes ses formes. Je n'ignorais rien des bouleversements qui secouaient le vieux continent, mais cela ne me concernait plus, je ne m'étais déjà que trop impliqué.

C'est ainsi qu'un soir, je fis la connaissance de Coleen. Je la repérais au bar de l'hôtel, une blonde pulpeuse aux jambes interminables mordillant le petit parasol de son Maï-Taï. Elle était actrice et ouvrait les cuisses dans le porno en attendant qu'Hollywood lui ouvre ses portes. Elle était piquante et chaude comme la braise. Nous passâmes la nuit à boire et à flirter, tant et si bien qu'à mon réveil je ne me souvenais quasiment plus de la soirée de la veille. Il s'avéra que la seule once de vérité dans son discours concernait ses talents d'actrice, elle était effectivement excellente. Elle espionnait en fait pour le parti depuis plusieurs années et s'était vu charger de me ramener au pays dès qu'on avait retrouvé ma trace. Je me réveillais donc dans une cellule sombre et humide où ma chemisette à fleur me paru soudain du plus mauvais goût.

- Mais y a rien à bouffer ici, s'exclama Line le nez dans mon frigo me tirant brutalement de mes rêveries, comment tu veux que je te prépare un petit-déjeuner alors que tu n'as que de la bière et du fromage ?

- Bah, tu pourrais déjà m'ouvrir une bière et me couper un morceau de fromage.

- Très drôle l'éclopée, fit-elle en m'envoyant une bouteille qui manqua de peu de s'écraser contre le mur tant mes réflexes étaient amoindris.

Line sourit en s'en rendant compte, elle se baladait toujours en petite culotte et soutien gorge, exhibant sans vergogne des formes qu'elle avait des plus gracieuses. Je repensais à ma nuit avec Sonatine, quel feux d'artifice cela avait été, je regrettais de ne pas me souvenir de ce qui avait pu se passer la veille pour pouvoir comparer. Etait-ce mieux ? Pire ? J'avais du mal à m'imaginer la chose tant mon état de santé n'aurait même pas dû me permettre de, ne serait-ce qu'envisager, la galipette.

- Et sinon, qu'est-ce qui t'as mis dans cet état reprit-elle tandis que je me débattais pour ouvrir ma bière

- Tu vas pas te moquer ?

- Je vais me gêner, rétorqua-t-elle en saisissant ma bouteille avant de la déboucher d'un coup sec contre un coin de la table.

- Une vieille..

- Une vieille ?!?

- Mais avec un chat mort... et super teigneuse.

- Faudra vraiment que tu m'expliques un jour par quel miracle t'as réussi à me tirer des griffes de l'autre taré et comment t'arrives à te retrouver mêlé à tout ces plans foireux.

Elle avala une grande lampé d'alcool, un filet ruissela le long de sa gorge, je suivis son parcours comme hypnotisé, il m'évoqua le sillonnement d'un serpent. Des serpents dans la tête.

Je n'avais pas la moindre idée de ce que Coleen avait pu me faire prendre, mais c'était du costaud, car je n'avais même pas eu conscience du voyage. Ma tête me faisait par contre un mal de chien, l'équivalent d'une gueule de bois comme je n'en avais jamais connu. Difficile de se concentrer dans ces conditions et pourtant je n'avais pas le choix. Je ne pouvais pas rester ici, le bon docteur Mennecke ne s'était surement pas donné autant de mal pour me rapatrier uniquement pour partager son goût douteux pour l'ameublement. Il devait ourdir un plan des plus sombres auquel je ne voulais surement pas être mêlé. Sans parler des risques qu'avait pris le parti pour me retrouver, non, définitivement, j'étais trop précieux pour eux pour avoir envie de savoir pourquoi.

Une analyse rapide de la situation m'appris que rien dans ma cellule ne pourrait m'aider à sortir. De plus, j'étais visiblement sous bonne garde avec un soldat en faction devant ma porte. Loin d'être un problème, cela pouvait au contraire s'avérer pratique, il était donc temps de voir combien mes adversaires en savait long sur moi. J'interpelais mon garde une première fois sans réaction de ça part, c'était plutôt mauvais signe, mais je poursuivit toutefois pour ne pas rester dans l'incertitude. La remise en question de sa sexualité futcomme souvent le plus efficace, il se tourna vers la cellule et son regard croisa le mien. S'en était fini de lui. Il entra paniqué dans ma prison pour délivrer son supérieur qui y était piégé. Du moins, c'est ce dont je l'avais persuadé avant que de l'assommer de toutes mes forces. J'aurais voulu emprunter son uniforme pour sortir plus discrétement, mais nos gabarits différaient trop, je me contentais donc de lui dérober son arme au cas où ma sortie doive être moins discrète que ce que j'en prévoyais.

En m'enfonçant dans les couloirs, il m'apparut évident que je me trouvais dans les sous-sols d'une base militaire Allemande, peut-être même l'un de ces camps de travail dont on commencait à s'inquiéter à l'étranger. Alternant une approche discrète et l'utilisation de mes pouvoirs d'illusionniste, mon avancée se fit avec moins de mal que je ne l'aurais cru et je ne rencontrais finalement que peu de patrouille. Une fois sortie du bâtiment je me retrouvais comme je le craignais dans une sorte de camp de prisonnier plutôt glauque. La pluie tombait dru et avait changé le sol en boue, l'air empestait la mort. Les soldats s'agitaient cette fois de toutes part rendant ma tâche moins aisé. En face de moi, un groupe de soldat s'affairait à remplir un camion, je ne compris pas tout de suite ce qu'ils y jetaient avec tant de désinvolture, mais me revint en mémoire de sinistre période de mon histoire, des drames qui volèrent tant de vie qu'on se retrouvait à empiler les corps par centaines. Je compris mieux l'atmosphère qui régnait ici, l'on ne se contentait pas d'enfermer les gens, on les faisait disparaître de la plus abjecte des façons. Je n'avais définitivement pas envie de croupir ici plus longtemps. Me faufilant derrière les baraquement et rampant sous les camions, je me rapprochais tant bien que mal des barbelés qui clôturaient l'ensemble du camp sans pour autant avoir la moindre idée de comment les franchir. J'essayais encore de mettre un plan au point lorsqu'on m'interpella.

- Vous pourriez saluer vos vieux amis avant de partir.

J'avais reconnu sans mal la voix de ce bon vieux docteur Mennecke avec cette petite pointe d'assurance qui me laissait penser que j'étais plutôt mal partie. Une dizaine de soldats m'encercla bientôt pour confirmer cette impression.

- Lâchez votre arme et rendez-vous, je préférerai vous avoir vivant mais c'est loin d'être indispensable.

Une fraction de seconde et je pouvais probablement être débarrassé du docteur. J'y passerais surement par la même occasion, mais le jeu pouvait en valoir la chandelle. Je détaillaisles soldats qui m'entouraient, ils étaient résolus à faire feu. Je n'avais pas la moindre chance de survivre. Mon arme tomba dans la boue, je levais doucement les bras.

- C'est bien, vous êtes raisonnable, mais vous comprendrez que je dois quand même sévir. Tirez-lui dans les jambes, il n'en aura plus besoin.

Plusieurs soldats firent feu réduisant mes membres inférieurs à l'état de pulpe. Je sentis la morsure de chacune des balles tandis que je m'effondrais au sol tête la première dans la boue. Je perdis conscience en fixant le sourire du docteur tandis que la douleur s'insinuait dans mon esprit pour étouffer ma raison.

Je rouvris les yeux dans mon lit. Line se pencha sur moi avec un grand sourire prouvant que je n'avais pas rêvé.

- Tu t'es évanoui, fit-elle d'un air gêné, peut-être que si t'avais vraiment mangé quelque chose...

- Ça va, t'inquiète, il va surement falloir que je me repose quelques jours.

Elle coucha sa tête sur mon ventre, je réprimais un cri de douleur.

- Tu veux que je reste jouer les infirmières ? Je peux prévenir Ed.

- C'est bon ! T'inquiètes, je survivrais !

- Mais c'est pas croyable, hurla-t-elle en se relevant brusquement. On dirait un mec. Ça te coute quoi de demander de l'aide ? Tu tiens à peine debout et tu oses sortir des conneries du genre « t'inquiètes, je survivrais ! ». Mais tu t'es pris pour un cowboy ou quoi ?

Je ne sus même pas quoi répondre tant la virulence de sa réaction m'avait pris de court. Je n'avais pas vraiment l'habitude qu'on s'occupe de moi, l'immortalité à ça de proche de la masturbation que c'est plutôt un truc de solitaire. Pourtant, il était évident qu'un peu d'aide serait le bienvenu dans les jours à venir, c'était juste une situation inédite pour moi, enfin...rare en tout cas. Toujours furieuse, Line frappa un grand coup dans mon épaule m'arrachant un cri de surprise.

- Tiens, tu veux jouer au mec, alors mange !

- T'es une grande malade ronchonnais-je en massant mon épaule endoloris.

Elle se laissa retomber dans le lit, boudant à moitié pour la forme.

- Alors ? Reprit-elle en me tournant le dos

- Alors, quoi ?!?

- Alors, tu vas me demander de t'aider ?

- Oui. ça va, t'es contente ? Est-ce que tu veux bien jouer les infirmières ?

- Ça dépend..

- QUOI ??? m'exclamais-je au comble de l'irritation

- Quoi, tu crois que tout t'es du ou quoi ? s'emporta-t-elle également en se relevant brusquement.

- Bon, tu veux quoi ?

A quatre pattes sur le lit, elle s'approcha lentement de moi en me fixant droit dans les yeux.

- Garçon ou fille? demanda-t-elle sans me quitter du regard.

- De quoi ?

- Hier, lorsqu'on a...

- Bah quoi ?

- Tu m'as dit des choses. Au début je l'ai pris pour moi mais j'ai bien compris que tu pensais à quelqu'un d'autre. Alors ? Garçon ou fille ?

- Et j'ai dis quoi ?

- Des trucs super intense genre « tu m'as tellement manqué », « j'ai cru que je ne te reverrais jamais », « je t'aime tellement », enfin tu vois le genre.

Je dus virer au cramoisie car oui, je voyais bien le genre. Mais un genre qui n'était pas du tout le mien. Bien-sur, j'avais déjà été amoureux, mais jamais au point de sortir ce genre de connerie. Alors quoi, qu'est-ce qui m'arrivais ?

- ça va ? fit Line le visage soudain plus grave

- pourquoi ?

- Tu pleures

Je passais la main sur mon visage et sentis les larmes ruisseler. Qu'est-ce qui m'arrivait, étais-je en train de devenir complètement fou ?

- je crois que j'ai besoin de dormir un peu

Je repris conscience dans le laboratoire de Menecke. Mon corps n'était plus qu'un champ de douleur qu'on avait attaché en position verticale sur ce que je soupçonnais être une croix. Ce qu'il me restait de jambes pendouillait sans vie et c'est pourtant de mon crane que venait les douleurs les moins supportables.

- Tu ne vas pas mourir, rassure-toi ! fit la voix du docteur. Répétant cette maudite phrase qui me hantait comme une malédiction.

- Alors, que penses-tu de tout ça ? poursuivit-il, fier d'avoir enfin refermé ses griffes sur moi, C'est un peu grâce à toi tout ça. Si tu n'avais pas posé autant de difficultés nous n'aurions pas eu à nous salir autant les mains.

- Je sais même pas de quoi vous parlez, répondis-je en étudiant mon environnement.

- Et bien, si tu n'avais pas ruiné notre plan avec Saint-Ange, tout cela serait fini depuis très longtemps fit le docteur en faisant claquer ses gants de latex.

- Sérieusement, vous êtes sur de pas vous être gouré de gusse parce que j'ai pas la moindre idée de quoi vous parlez !

- Oh oui, j'en suis sur s'emporta le docteur en saisissant ma mâchoire et en me fixant droit dans les yeux. On ne sait pas comment vous avez fait capoter notre plan, mais on vous surveille depuis monsieur le juif errant. Tiens d'ailleurs, n'est-ce pas ironique, nous n'aurions pas eu à massacrer tous ces juifs si nous n'avions pas dû vous chercher. Amusant, leur prétendu sauveur à carrément provoqué leur perte.

Lorsque l'arrogance l'avait poussé à me dévisager je me pensais sauvé. J'usais de toutes mes forces pour l'influencer mais rien ne se passa. Etais-je trop faible, ou mon adversaire bien plus fort que je ne le croyais ? Ce nouvel échec me mina un peu plus.

- C'est donc comme ça que tu as trompé la vigilence de ton garde ? reprit Menecke intrigué. Intéressant, mais saches que ça ne marchera pas sur moi. Toi et ton peuple êtes insignifiant face à nous. Tes amusants petits tours nous ont peut-être retardé, mais tu ne peux plus rien arrêter désormais.

- Super, on peut directement passer à l'étape où tu me tortures parce que je commence à m'endormir là.

- On n'y arrive, ne t'inquiète pas. D'ailleurs tu n'as pas vu ma petite installation !

Terminant à peine sa phrase, le docteur apporta un miroir devant mes yeux. Je découvris ainsi l'origine de mon mal de tête, celle-ci était perforé d'un millier d'aiguilles reliées à des fils eux-même reliés à une machine.

- Puisque tu prètends avoir tout oublié, on va essayer de te rafraichir la mémoire. Et rassure-toi, je ne te laisserais pas mourir tant que je n'aurais pas obtenu ce que je veux.

En abaissant une manette, il libéra un faible voltage qui vint directement me chatouiller la boite crânienne. Les serpents plantèrent leurs crocs au plus profond de mon cerveau libérant un flux incontrôlable d'information de toutes sortes : peur, douleur, haine, j'étais submergé. Ce n'était pas la première fois que je goûtais aux électrochocs. J'avais été une lady anglaise durant une courte période, quelques erreurs m'avaient valu un séjour en maison de soin et soyez sûr qu'on ne me faisait pas prendre que des bains de boue. Tout ça pour dire que sans être un spécialiste, j'avais déjà une bonne expérience de la chose et ce que me faisait vivre Menecke était pire que tout ce que j'avais jamais ressentie. A chaque stimulation c'était comme si les ténèbres et le désespoir essayaient de jaillir sur le monde en passant par moi. Des vagues de souffrances insoutenables qui me laissait lessivé et au comble de l'abattement. La seule maigre consolation que j'en tirais étant de voir la mine déconfite de mon bourreau face à ma résistance inattendu. Je ne saurais dire combien de jours ou de semaines passèrent ainsi sans que je ne trouve la moindre occasion de m'enfuir. Mais la vérité, c'était que je voulais souffrir. Je ne supportais pas l'idée qu'ils aient pu tuer tous ces innocents juste pour me retrouver. Mon égoïsme était quasiment la cause d'un génocide et je ne pouvais pas vivre avec ça. Et il y avait l'autre chose. L'étincelle. Derrière toute cette noirceur dont le docteur m'inondait, il y avait cette petite étincelle qui essayait de se forger son chemin. Je n'avais pas la moindre idée de ce que c'était, mais je m'accrochais à elle comme si mon salut en dépendait. Et finalement, à force de volonté je réussi à la rattraper. Sa lumière était beaucoup plus éblouissante que je ne l'aurais cru et elle m'aveugla complètement.

- Arrête, fut le premier mot qu'elle prononça

- Arrête quoi ? répondis-je en essayant d'entrouvrir les yeux pour la distinguer

- Arrête de ne penser qu'à toi.

- Que..balbutiais-je en découvrant enfin la forme qui se trouvait devant moi.

- Tu joues le jeu du docteur en essayant de comprendre.

- Tu es moi ?

- Tu t'attendais à quoi ? Humphrey Bogart ? Bah, désolé, c'est pas la grande évasion!

Je me détaillais longuement, essayant de comprendre ce qu'il se passait. Cela faisait si longtemps que je ne m'étais pas vu, j'en avais presque oublié à quoi je ressemblais et surtout que je n'étais qu'un enfant lorsque la mort m'a fauché pour la première fois.

- Il me manque quelque chose repris-je

- Oui, mais il y a une bonne raison pour ça, alors laisse tomber.

- Et t'es qui pour me dire ça ?

- Je suis ta contrition, la toute petite partie de toi qui se souvient de tout et qui doit t'empêcher de faire une bêtise. Alors, pour une fois dans notre vie, écoute-moi et abandonne.

Un choc violent me fit rouvrir les yeux, le docteur venait de me mettre une grande claque.

- Alors, un grand gaillard comme toi qui s'endort pendant les séances, ce n'est pas très sérieux.

- Désolé, la lassitude, je m'attendais à plus d'originalité de la part d'un scientifique fou, on pourrait pas varier ? Je sais pas envisager des bains d'acide, une dissection, oser l'innovation.

J'avais eu la plus grande peine à terminer cette phrase, j'avais mangé la moitié des mots et bavé sur ceux restant mais j'étais assez fier de cette bravade. L'orgueil, c'était tout ce qu'il me restait alors je m'y accrochais tant bien que mal.

- Tu peux te gausser, mais l'heure est proche. Je vais bientôt extirper de ton esprit la seule vérité que le monde à besoin de connaître : espoir, amour, tout cela n'est que conte pour bonne femme, seul existe la force et tu ne vas pas tarder à le réaliser.

- J'ai le droit à une dernière volonté au moins ?

Le docteur me dévisagea longuement, ma requête l'avait pris de court, il se demanda dans quelle mesure ce pouvait être un piège et mesura les risques avant de se laisser dévorer lui aussi par la fierté.

- Une dernière cigarette, un dernier repas ?

- Non, un dernier rasage. J'ai toujours voulu savoir à quoi je ressemblerais avec une moustache.

- Une moustache, répéta-t-il en riant, je dois pouvoir t'offrir ça.

Il fit ainsi venir son assistant équipé de tout le nécessaire. Celui-ci se mit à l'ouvrage avec sérieux sous l'oeil attentif de son supérieur. Une fois la mousse bien étalé sur mon visage, la lame aiguisé parcouru doucement ma peau. J'essayais tant bien que mal de ne pas quitter l'assistant des yeux mais celui-ci avait été mis en garde et me fuyait du regard. Mennecke surveillait également la scène avec attention, convaincu que j'allais tenter quelque chose pendant le rasage. Peu importait, ce n'était pas vraiment mon plan.

- Alors, tu te sens mieux ? fit le docteur tandis que son second me passait une serviette chaude sur le visage.

- Je revis, je vais pouvoir mourir heureux

- Pas encore, tu vas devoir encore souffrir un peu pour moi

- Je peux voir à quoi je ressemble ?

L'assistant se tourna vers le docteur pour obtenir son consentement, il le donna d'un simple geste de la tête. On m'apporta un miroir, je ne ressemblais plus à grand-chose, il était temps d'en finir.

- Fini de jouer, m'interrompis le docteur en ôtant la glace des mains de son assistant, il est temps d'en terminer

L'arc électrique crépita, une décharge vint foudroyer mes synapses secouant tout mon corps. A nouveau le serpent palpita tout autour de mon cerveau, l'écrasant sans la moindre pitié. S'il y aura toujours des poètes et des crétins pour vous dire que c'est l'amour qui définit l'humanité, j'ai pour ma part la conviction que l'essence même de l'humanité réside dans sa volonté farouche de vivre. C'est cet instinct qui motive l'homme à manger et à se reproduire. L'être humain est une pure volonté de vivre et malgré mon statut bien particulier, je n'y réchappe pas. Ce n'est pas sans raison que j'avais survécu aussi longtemps à pareille séance d'électrochoc, mon corps luttait pour survivre et d'ici peu ce serait fini, je le savais, mon esprit céderait pour laisser une chance à mon corps. Je sentais mes forces m'abandonner. C'est d'ailleurs la raison qui m'avait poussé à abandonner l'idée d'hypnotiser l'assistant, je n'en aurais surement pas eu la force. Je n'avais plus qu'une seule porte pour m'évader sans offrir au docteur ce qu'il désirait : la mort.

Au loin, j'entendis les protestations du docteur, ses tentatives vaines pour éteindre sa machine et essayer de garder mon enveloppe en vie, mais il était trop tard.

Mon inconscient ne m'aurait jamais laissé mourir, il avait donc fallu lui donner un petit coup de pouce. J'avais usé de mes dernières forces pour me convaincre de me laisser mourir, espérant juste que ça n'aurais pas de conséquence à l'avenir.

Line était penché sur moi, son visage barré d'un sourire inquiet.

- ça va un peu mieux ? fit-elle en passant la main dans mes cheveux

- c'était un homme répondis-je, je crois qu'il s'appelait Saint-Ange et je l'ai oublié. J'ai complètement oublié le seul homme que j'ai jamais aimé sanglotais-je en me blottissant contre elle.

Après ma mort, je m'étais réveillé dans le corps d'un enfant étouffant sous un tas de cadavre. Je dus m'extraire du charnier en rampant à la seule force des bras. Une fois sortie, j'eu encore à traverser les flammes en essayant de ne pas me faire voir par les soldats. Mon enveloppe était affaibli, elle souffrait de malnutritions et de toutes sortes de maux. Heureusement mon conditionnement avait disparu avec mon ancien corps, j'avais retrouvé la soif de vivre, et j'étais prêt à affronter toutes les souffrances pour m'en sortir. La chance voulut qu'après m'être éloigné suffisamment une femme d'un village voisin me trouve sur le bas côté. Touché par mon jeune âge elle me porta secours. Les alliés libérèrent les camps peu après ma rémission, je n'eu pas l'occasion de remercier le bon docteur pour son traitement, mais je me promis de lui faire payer la note.